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Le tour du monde en 80 clics
22 juin 2015

Immersion dans un village équatorien

Localisation de l'Equateur

En ce début du mois de mai 2015, j'ai rendez-vous à Bacpancel, une communauté des Andes équatoriennes située à environ 1h de route de Cuenca (province de l'Azuay). Pour être précis, je devrais d'ailleurs dire NOUS avons rendez-vous, puisque nous sommes cinq à accomplir ce voyage en plus de notre coordinatrice-traductrice.

Il s'agit d'un voyage différent des précédents parce qu'il se veut solidaire. Le principe est simple : s'immerger durant une dizaine de jours dans une communauté traditionnelle pour découvrir "de l'intérieur" la vie quotidienne de ses habitants. Cette bonne idée, c'est l'agence Double Sens qui l'a eue et qui l'a concrétisée sur 3 continents (Afrique, Amérique et Asie). Vous trouverez un lien vers leur site dans mon précédent article.

Mais ce voyage solidaire est surtout rendu possible grâce à l'adhésion, l'énergie et l'enthousiasme des membres de notre communauté d'accueil, en particulier ses femmes. Ce sont elles qui ont défini les contours de la mission et son objectif principal : montrer et témoigner de leur mode de vie. 

Vue sur le centre de Bacpancel depuis la partie haute du village

 

Lundi 4 mai : tressage de la paille toquilla

Ce matin, nous avons rendez-vous avec Laura à la "garderie" de Bacpancel. Il s'agit d'un bâtiment qui abrite l'association des femmes artisanes de la communauté. Ce sera également notre QG tout au long de ce voyage.

Lorsque nous franchissons le seuil, nous sommes tout de suite immergés dans l'ambiance de cette matinée : des brins de paille multicolores sont étendus et sèchent sur des cordes à linge. Ils ont chacun été plongés à tour de rôle dans une marmite d'eau bouillante, dans laquelle les femmes ont rajouté des colorants chimiques achetés à Gualaceo, la ville la plus proche. Un véritable arc-en-ciel se déploie sous nos yeux.

La garderie    Coloration puis séchage de la paille toquilla

Paille colorée en train de sécher    La paille toquilla suspendue pour sécher après le bain de coloration

La paille toquilla est une fibre végétale qui joue un rôle économique très important en Équateur en général, et dans cette communauté en particulier. Elle est en effet la matière première des célèbres chapeaux panama, un produit traditionnel confectionné dans le pays et non pas chez son homologue du nord. Elle sert aussi à la fabrication d'objets tressés : corbeilles, étuis à bouteille, petites boites, sets de table, ...

La paille est extraite d'un palmier qui croît sur la côte pacifique. Elle est récoltée sous forme de pousses avant que la feuille de l'arbre ne se déploie. Ces pousses sont ensuite battues, puis transformées en fils ou fibres qui sont revendus dans la région de Cuenca. La matière première est alors rachetée par les entreprises spécialisées de la région ou par de petits artisans.

Les femmes de Bacpancel font partie de cette dernière catégorie. Elles accomplissent cette activité par tradition, mais aussi pour bénéficier d'un complément de revenus, en sus de l'agriculture. Elles revendent ensuite leur production sur les marchés des environs ou dans la boutique du village aux touristes de passage que nous sommes. Leur artisanat est varié et surtout haut en couleurs.

En ce début de matinée ensoleillée, Laura nous propose deux options : fabriquer un mini-chapeau panama pour "coiffer" un stylo ou fabriquer une mini-boite. Nos esprits cartésiens optent pour cette seconde alternative à la finalité plus immédiatement perceptible. Nous choisissons deux ou trois couleurs. J'opte pour trois, celles figurant sur le drapeau en hommage au pays où nous sommes.

Laura commence à tresser le squelette, ce qui requiert un certain coup de main. Elle opère si rapidement que nous avons beaucoup de mal à décortiquer ses mouvements. Une fois initié, elle passe la main à ses élèves que nous sommes et construit déjà un nouveau squelette. Elle garde cependant un oeil sur chacun de nous. 

Nous commençons par tresser la base en liant les brins de paille trois par trois, puis deux par deux, et enfin un par un. Il faut de temps en temps rajouter un nouveau brin de paille. Laura s'en charge compte tenu de notre peu d'expérience.

Tressage du fond de la petite boite    Tressage du fond de la petite boite

Tressage du fond de la petite boite

Sur son indication, nous montons ensuite les bords de la boite en entrelaçant les brins de paille. Nous insérons pour cela un moule en bois et continuons le tressage de façon à envelopper le moule. 

Tressage d'une boite en paille toquilla    Tressage d'une boite en paille toquilla

L'ambiance est studieuse et décontractée à la fois. C'est surtout Laura qui a du boulot puisqu'elle nous surveille tous les six et corrige nos erreurs. Nous terminons notre oeuvre au bout d'une bonne heure et demie. Laura nous propose alors de tresser le couvercle. Nous ne devons pas être si mauvais que ça finalement. ;)

La technique étant plus ou moins acquise, nous gagnons un tout petit peu en dextérité. Le travail progresse vite sous l'oeil de notre professeur d'un jour. J'opte toujours pour le tressage tricolore aux couleurs de l'Équateur. Mais avec le recul, j'aurai dû ne choisir qu'une seule couleur. Cette seconde partie de l'activité dure encore une bonne demi-heure.

Et voilà le travail. Gracias Laura !

Deux petites boites tressées

Mardi 5 mai : tonte de deux moutons

Ce matin, c'est Maria-Angeles qui organise l'activité. Nous l'avions rencontrée brièvement hier lors de l'atelier tressage. Maria et Luz sont bien entendu présentes. Nous commençons par récupérer plusieurs paires de ciseaux pour écoliers à la Garderie. Le hasard veut que nous en prenions certains pour gauchers mais nous ne nous en rendrons compte que plus tard.

Équipés, nous nous rendons à pied jusqu'au pré de Maria-Angeles. Nous empruntons les pistes en terre battue pour traverser le village, puis nous nous engageons sur un petit sentier à flanc de colline. Celui-ci est tantôt correct, tantôt étroit et en surplomb, certains champs étant construits en terrasses. Nous dépassons aussi des habitations et leur cortège de chiens aboyant ou quelques porcheries sur pilotis. Original !

Nous parvenons au bout d'un quart d'heure environ à un petit pré. 6 moutons et brebis, dont 2 agneaux, y paissent tranquillement tandis que les petits cherchent à têter leur mère respective.

Une brebis et son agneau    Les deux moutons à tondre

 

Maria-Angeles amène un premier mouton à la toison très fournie. La tonte s'impose effectivement. Nous le soulevons et le couchons dans l'herbe. Maria-Angeles lui attache les pattes pour l'empêcher de se relever, mais surtout de se blesser ou de nous blesser. Et c'est parti pour la tonte avec nos ciseaux d'écoliers. Nous sommes quatre sur l'animal pour aller plus vite. Il faut dire qu'il est un peu stressé bien que résigné.

Préparation du premier mouton (attachement des pattes)    Gros plan sur la tonte du mouton avec des ciseaux d'écoliers

Le travail dure une bonne heure et demie à cause de notre métériel et par peur de blesser l'animal. Celui-ci trésaille de temps en temps, ce qui nous effraie lorsque nos ciseaux sont en train de couper la laine tout près de la peau de l'animal. La laine est épaisse, très grasse et parsemée de debris végétaux et de petits insectes (des tiques ?).

Nous progressons lentement. Nous avons l'impression de ne pas beaucoup avancer au début car le résultat est peu visible. Et tout d'un coup, la toison de laine apparait distinctement. Une autre étape est franchie lorsque nous basculons le mouton pour le changer de côté. On se rend alors compte du travail accompli ... et restant à accomplir.

Gros plan sur la tonte du mouton avec des ciseaux d'écoliers    Tonte du 1er mouton avec Maria Angeles, Fabienne et Monique

Une fois la tâche achevée, Maria-Angeles défait les entraves du mouton et le libère. Celui-ci se relève d'un bon. Je le raccompagne en le tenant par une corde à son aire de pâturage. Pendant ce temps, le second mouton est préparé, tout aussi touffu. Nous sommes entre 3 et 4 à intervenir pour lui. Nous allons désormais un peu plus vite.

L'animal est plus agité et se débat davantage. il m'effraie à plusieurs reprises alors que je lui tonds la tête et les joues. Maria-Angeles est passée à une autre activité, toujours dans le souci de nous faire découvrir leur vie. Elle est en train de filer la laine pour en faire une grosse pelote. Deux, puis trois de nous se joignent à elle et lui proposent un coup de main. Elles s'essaient au filage et au tricotage. Cela me dit moins donc je continue la tonte du deuxième mouton.

Maria Angeles en train de filer la laine    Maria Angeles en train de filer la laine

Une pelote de laine épaisse

Au final, j'ai considéré cette matinée comme une très belle expérience, qui plus est enrichissante. Je ne pense pas que les deux moutons partagent le même avis. Il est clair que ni moi, ni les autres voyageuses n'avons de dons pour la coiffure, la tonte ou le toilettage, en tout cas sur le plan artistique :

Un des deux moutons tondus    La laine de nos braves moutons et les petits brins de laine épars

Jean-Louis David et conssorts n'ont aucun soucis à se faire là-dessus.

Mercredi 6 mai : randonnée vers la montagne Tari

La montagne Tari est située en amont de Bacpancel. En fait, il s'agit plus d'une grosse colline que d'une véritable montagne. Le dénivelé n'est en effet pas vraiment impressionnant sachant que le village est déjà à 2 500m d'altitude et qu'il est entouré de nombreuses montagnes (ou plutôt collines). Le sommet est en outre arrondi et couvert d'herbes rases. Loin de l'univers minéral du Cotopaxi, du Chimborazo ou même de nos Pyrénées !

Ce matin, le taxi 4x4 nous emmène à une vingtaine de minutes de piste de Bacpancel (pour gagner du temps). Le chemin en terre est valloné et parsemé de nids de poule. Il est également emprunté par d'autres véhicules et des piétons puisque c'est a priori un axe de circulation unique dans le coin. Nous les saluons au passage.

Soudain, le taxi s'arrête et nous sommes invités à descendre. Derniers préparatifs. Puis nous nous engageons à la suite de Maria et Luz sur un petit sentier... qui va se révéler être un vrai bourbier. Nous prenons garde à chaque pas de ne pas glisser. Nous nous raccrochons partout où c'est possible. L'équation est simple : boue + pente = patinette ou dérapage incontrôlé. L'une de nous en fera l'expérience, en ayant la chance de ne même pas se tâcher.

Le sentier boueux

Au bout d'une dizaine de minutes, des sons de cloches nous parviennent et se rapprochent rapidement. Nous nous mettons tout de suite sur le bas-côté et légèrement en hauteur. Un troupeau de vaches déboule à toute vitesse. Elles non plus ne maitrisent pas tout, apeurées par notre présence et ce terrain dangereux pour leurs pattes. La première nous dépasse sans réfléchir. Les suivantes, dont un veau, s'immobilisent juste devant nous, craintives. Il faudra l'intervention de leurs bouvières pour qu'elles se résignent enfin à reprendre leur chemin.

Nous reprenons alors le nôtre, toujours avec précaution. Une partie de la montée se fait dans des forêts d'essences différentes. Certains bosquets sont luxuriants avec des broméliacées agrippées aux arbres. On se croirait presque en pleine jungle. L'autre partie de la montée est composée de clairières et pâturages. Nous croisons aussi des chevaux et quelques paysans lors de notre randonnée d'environ 1h15. De temps en temps enfin, nous parvenons à une espèce de belvédère qui nous offre une vue panoramique sur les environs.

La montagne sacrée Pichy faisant face à la montagne Tari et victime de pilleurs de tombes    Végétation luxuriante dans un petit bois

Une prairie d'altitude sur la montagne Tari offrant une vue panoramique

La pente se fait un peu plus raide à l'approche du sommet. Lorsque nous y parvenons, nous découvrons un terrain très irrégulier, comme ceux bombardés par les obus en Normandie. Il s'agit en fait d'anciennes sépultures qui ont été pillées. En effet, chez les Quichuas, la coutume était d'enterrer les défunts au sommet des montagnes pour les rapprocher du ciel. Or le matériel qui accompagnait les dépouilles suscitait les convoitises de pilleurs sans scrupule.

Le sommet de la montagne Tari visité par les pilleurs de tombes

Maria et Luz tenaient à nous faire découvrir cette facette de leur culture, et à nous montrer un point de vue sur les reliefs et massifs forestiers environnants, ainsi que sur la ville de Cuenca.

Après une courte pause, nous entamons la descente toute aussi périlleuse. Nous passons par les lagunes de la femme et de l'homme, ainsi nommées en raison d'une légende. Nous regagnons ensuite la garderie en taxi.

Le lac sacré de la femme sur la montagne Tari    Le lac sacré de l'homme sur la montagne Tari

Jeudi 7 mai : rencontre d'un homme engagé en faveur de l'agriculture biologique

Don Miguel est un agriculteur de la communauté âgé de 70 ans. Rien ne le distingue en apparence de ses homologues : il possède une ferme ou assimilée, des terres qu'il cultive, des animaux qu'il élève, dont un élevage de cuys (une espèce de cochons d'inde destinée à l'alimentation). Pourtant, Don Miguel est un homme exceptionnel par son engagement en faveur de l'agriculture biologique. Il se bat seul depuis des années pour défendre une agriculture propre, c'est-à-dire sans produits chimiques. Il est tout à fait lucide à l'égard des semenciers et firmes phytosanitaires qui promettent rendements élevés et gains financiers au détriment de la nature.

Don Miguel devant son potager

Don Miguel raconte que les produits chimiques ont envahi les exploitations agricoles de la région dans les années 60. La quasi-totalité des agriculteurs du coin ont cédé aux sirènes de la modernisation et se sont engagés dans cette voie. Lui a refusé et tient bon depuis. Son credo : produire propre, comme le faisait avant lui ses parents et grands-parents. Du bon sens tout simplement ! Pourquoi remplacer des pratiques ancestrales et respectueuses de l'environnement par de nouvelles techniques moins éprouvantes, plus rentables mais néfastes pour la terre-mère ? Il est donc le seul agriculteur bio dans le village et il doit lutter sans cesse pour le faire reconnaitre. Point positif : son fils suit le même chemin que lui.

Aujourd'hui, Don Miguel élève des cochons, des brebis, des vaches, des cuys, des poules et des coqs. Il cultive du maïs, du chou, des choux-fleurs, des brocolis, des courges, des salades, des mûres, des pêches, des tomates d'arbre (un fruit local) et des pommes. Il fait aussi pousser de l'herbe pour nourrir ses cuys. Bref, il varie les productions pour empêcher l'appauvrissement de ses sols. Il utilise aussi les déjections de ses animaux et les feuilles mortes comme engrais et fertilisants. Il a enfin recours à deux plantes répulsives naturelles (l'une chasse certaines catégories de parasites, la seconde en chasse d'autres) à la place des produits chimiques. Du vrai bio quoi ! Don Miguel reconnait que cela réclame beaucoup de travail pour y parvenir, mais que cela est rentable contrairement aux idées reçues. Ses confrères recherchent donc la facilité.

Fabrication de compost naturel sous un abri    Des arbres fruitiers (pommiers notamment) dans le jardin de don Miguel

Des cuys dans un bâtiment spécifique    Un arbuste produisant des tomates d'arbre

Don Miguel se bat depuis des années pour obtenir un label bio qui prouvera ses efforts aux consommateurs et citadins. Sur le marché, ses produits sont en effet dispersés par catégorie et noyés dans la masse des produits "classiques". Ses voisins d'étal n'hésitent pas souvent à prétendre que leurs propres produits sont bios. Don Miguel a donc besoin de preuves (le label) pour faire la différence. Il réclame aussi que tous ses produits soient regroupés en un seul endroit (bio) sur le marché pour le différencier des autres stands. 

Dans le cadre de son "combat", Don Miguel s'est investi dans l'association Mushuk Pakarina qui regroupe 80 agriculteurs des communautés alentours. Il en est aujourd'hui le président. Il participe à ce titre à de nombreuses réunions aux niveaux local, provincial (Cuenca et l'Azuay), et parfois national, voire internatonal. Il a par exemple assisté à une conférence sur son sujet de prédilection à Lima au Pérou.

Au niveau national, il existe d'autres associations similaires dans l'Oriente et sur la côte pacifique. Toutes échangent entre elles, même si leur problématique est parfois un peu différente. Dans l'Amazonie (Oriente) par exemple, les exploitations font en moyenne 80 à 100 ha. Celles de la région andine sont beaucoup plus petites et morcelées.

Le Ministère de l'Agriculture soutient la démarche bio sur le principe. Malheureusement, il n'apporte pas de soutien concret ou de modifications législatives. Don Miguel a monté plusieurs dossiers pour la création d'un label bio. Il n'a jamais obtenu de réponse. Le gouvernement souhaite en réalité privilégier l'agriculture à l'export pour les devises qu'elle apporte. Les petits paysans équatoriens sont de leur côté éloignés de ces considérations.

Le cahier des charges en vue de l'obtention d'un label bio

Autour de l'association de Don Miguel gravitent 8 autres associations similaires. Il a donc beaucoup, beaucoup de travail de plaidoyer à mener pour convaincre les autorités de la nécessité de créer un label. Sa femme étant malade, il est aujourd'hui obligé de renoncer à cultiver une partie de son exploitation pour faire avancer sa cause.

Aussi dures soient les difficultés auxquelles il est actuellement confronté, Don Miguel ne baisse pas les bras. Il a ainsi été le premier à installer un système d'arrosage automatique pour son potager. Personne n'a voulu l'aider. Tant pis, il a tout fait lui-même. Les agriculteurs des environs commencent à voir les avantages de son système. Don Miguel ne leur en tient pas rigueur et se propose de leur montrer et de leur expliquer. Il souhaiterait aussi développer un système de libre cueillette ou de paniers garnis où les habitants des environs viendraient eux-mêmes récolter les produits dont ils ont besoin dans son exploitation. Malheureusement, ceux-ci ont déjà leurs parcelles à disposition et ne sont donc pas intéressés. Enfin à cause du manque de temps et de son âge, il songe désormais à s'équiper d'un motoculteur manuel pour lui faciliter la vie et s'économiser. 

Don Miguel devant une plantation de choux

Au final, cette matinée nous a permis de rencontrer un homme engagé et admirable. Loin de s'enfermer dans un conservatisme aveugle, Don Miguel défend un idéal (plus que louable) et s'efforce tant bien que mal de le mettre en pratique au profit de la collectivité toute entière et non de son seul intérêt personnel. Bravo !!!

Vendredi 8 mai : participation à la "minga"

Le terme "minga" désigne un travail communautaire. Le principe est très simple : au moins une fois par semaine, les habitants de la communauté qui le peuvent se regroupent pour mettre leur force de travail au service de la communauté. Ils peuvent ainsi construire des infrastructures collectives qui profitent à toute la communauté villageoise. A la différence des corvées d'antan, la participation à la minga n'a rien d'obligatoire. Elle repose entièrement sur le volontariat, ou plutôt sur le sens des responsabilités et l'engagement citoyen de chacun.

Arrivée sur le site de la minga (travail communautaire pour construire une maison pour tous)

Aujourd'hui, nous allons participer (modestement bien entendu) à la construction d'une maison pour tous. Celle-ci sera destinée à accueillir tous ceux qui veulent se rassembler ou se réunir : jeunes, membres de l'association des femmes artisanes, ... Le bâtiment est en cours de construction au sommet d'une colline qui surplombe le village. Le chantier est déjà bien avancé : 3 terrasses ont été érigées au sommet de la colline, le terrain a été applani, des briques d'adobe ont été fabriquées et stockées au niveau de la 3ème terrasse, enfin le 1er étage du bâtiment est déjà achevé au niveau du gros oeuvre (murs & charpente).

Vue panoramique sur Bacpancel, San Juan et les environs    Maria observant le chantier de la minga

Un des hommes est désigné comme chef de chantier. Il est chargé d'affecter une mission à chacun selon ses capacités. Il prend part lui aussi aux travaux.

Ce vendredi, les femmes sont chargées de transporter les briques d'adobe de la 3ème terrasse vers la 1ère (la plus basse) où est érigé le futur bâtiment. Ces briques ont été confectionnées à partir d'un mélange de terre (peut-être de la bouse en fait), de petites pierres et de paille, puis mises au séchage. Chaque pièce pèse environ 20kg. Les femmes les transportent sur leur dos en les entourant d'un simple châle. Elles vont faire le trajet des dizaine de fois.

Les femmes descendent les parpaings en adobe vers la construction (1 parpaing = 20 kg)

Les hommes s'occupent du gros-oeuvre. Ils récupèrent les briques apportées par les femmes et s'en servent pour élever le deuxième étage du bâtiment. Ils se déplacent tels des funanbules sur des poutres qui forment la charpente du 1er étage.

Montage des parpaings en adobe sur la construction (1 parpaing = 20 kg)

J'effectue deux allers-retours pour descendre à mon tour des briques d'adobe. Mais nous sommes rapidement affectés à une autre tâche. Sur la 3ème terrasse, se dresse un petit tas de terre (continuons dans le déni ;)). Nous devons le retourner à l'aide de deux pelles et en extraire les grosses pierres. C'est un travail fatigant pour nous à cause de l'altitude, mais nous ne débrouillons pas trop mal. Nous devons ensuite mettre la terre dans un sac et le redescendre sur la 1ère terrasse pour en faire un ciment. Les femmes qui ont déjà déplacé toutes leurs briques viennent nous donner un coup de main. Nous faisons de nombreux allers-retours jusque vers 12h. Puis nous devons rentrer à la garderie car les animations avec les enfants de l'école débutent à 13h30.

Transport d'un sac de terre pour le descendre jusqu'à la construction

Lundi 11 mai : visite chez la brodeuse du village

Mercedes est la seule femme de la communauté à savoir faire de la broderie. Les autres femmes ne connaissent pas la technique et ne possèdent pas non plus l'équipement adéquat. Mercedes possède quant à elle une machine à coudre de la marque Singer, avec pédale (la même qui se trouve dans le grenier de vos grands-parents). Elle travaille pour le compte d'une entreprise de Gualaceo, une ville de la vallée, qui lui fournit tout le matériel sauf le fil. Elle obtient ainsi davantage de commandes et un complément de revenus à ses activités agricoles. Le reste du temps, elle répond aux commandes directes, beaucoup moins régulières, ou elle est obligée d'aller vendre ses produits sur le marché.

Mercedes derrière sa machine à coudre

Mercedes brode sur les polleras, les jupes traditionnelles des femmes de la région. Celles-ci en possèdent généralement 3 modèles. Les plus aisées peuvent s'en acheter une spéciale pour le jour de leur mariage, mais la plupart des agricultrices ne peuvent pas se le permettre. Notez que certaines femmes ne portent pas de polleras par choix. Elles leur préfèrent le pantalon.

Mercedes derrière sa machine à coudre    Mercedes derrière sa machine à coudre

Il existe une grande diversité de polleras selon les moyens de la clientes. Certaines sont en velours, d'autres en tissu plus classique. La couleur est libre, même si le noir est surtout porté pour le deuil qui dure de 4 à 6 mois. Au final, la confection d'une pollera peut nécessiter jusqu'à une semaine de travail et peut coûter jusqu'à 100$ !

Mercedes dessine elle-même sur une fine bande de papier les motifs qu'elle souhaite broder. Certains modèles lui sont également fournis. Elle coud ensuite cette bandelette blanche sur le bas de la robe, côté extérieur, avec un fil blanc provisoire. Ces deux éléments seront enlevés plus tard. Elle change ensuite de bobine de fil pour la remplacer par celle de la couleur souhaitée. Elle remet alors en marche sa machine et commence la broderie. Elle suit minutieusement les traits tracés sur son modèle. Mais pas tous : seulement ceux qui doivent être de la couleur utilisée. Elle laisse donc des endroits vides ou ne trace que les contours d'une forme quand elle remplit d'autres formes complètement.

Sa main est rapide et assurée. Pourtant la tâche n'est pas évidente. La rapidité de l'aiguille ne pardonne pas la moindre erreur, sinon le motif est déformé. Les autres femmes du groupe qui se sont essayé à cette activité, ont été confrontées à ces "sorties de route", ainsi qu'à des ruptures de fils. Mercedes souffre par ailleurs d'une vue dégradée à cause des longues heures passées à broder de minuscules motifs. Elle s'en accomode tant bien que mal, sans se plaindre.

Mercedes faisant de la broderie sur une pollera

Dès qu'un motif est tracé ou ses contours, Mercedes arrache la bandelette de papier sur ses abords. Elle change ensuite de bobine de fil et poursuit son oeuvre jusqu'à la finition. 

Broderie réalisée par Mercedes sur une pollera    Broderie réalisée par Mercedes sur une pollera

Mardi 12 mai : fabrication de fromage de vache

Ce matin, nous devions en théorie traire les vaches et fabriquer du fromage. Le temps d'arriver au pâturage, la traite est déjà faite. Il faut dire que nous sommes partis un peu en retard de San Juan et que nous avons fait plusieurs haltes sur le parcours pour embarquer des personnes ou débarquer du matériel. De leur côté, les vaches doivent être habituées à être traites à une certaine heure. Tant pis pour nous donc.

La femme qui nous encadre - et dont je n'ai malheureusement pas noté le prénom - est debout devant un seau de lait encore chaud. Elle s'agenouille et verse de la présure chimique dans le récipient. Le mélange se solidifie légèrement en moins d'une minute, sans aucune intervention de notre part. Certes cela peut choquer certains habitants de notre pays, mais cette technique permet aux femmes de gagner du temps en évitant de "brasser" le lait pendant un long moment. Elles peuvent ainsi se consacrer à leurs autres activités.

Fabrication de fromage - ajout de présure dans le lait de vache    Fabrication de fromage - mélange du lait et de la présure

Dès que le lait est "solidifié", on plonge les mains (propres si possible) dans le seau pour récupérer la matière solide. Cette dernière est déposée dans une assiette tandis que le liquide reste dans le seau. On presse fort avec la main libre la matière solide pour l'essorer et en extraire le maximum de jus qui retourne dans le seau. Puis on renouvelle l'opération : on rajoute de la matière solide et on presse. Cela jusqu'à obtenir une masse blanche compacte et sèche. C'est le fromage prêt à déguster sans affinage, ni salaison. Durée de préparation : moins d'une heure du pis à la bouche !

Récupèration du lait solidifié    Fabienne presse le fromage liquide

Bien entendu, si vous avez oublié de vous laver les mains au départ, vous obtenez aussi un fromage ... mais un fromage de caractère au goût très prononcé.

Enfin, vous vous posez sûrement la question : "mais qu'est-ce-qu'on fait du jus ?". Et bien on le donne aux animaux qui en raffolent.

Recyclage du pressé du fromage

Mercredi 13 mai : rencontre avec un "curandero", guérisseur traditionnel

Ce matin, nous avons rendez-vous avec Alberto au-dessus du chantier de la minga. Le lieu choisi n'a rien d'un hasard. Il est situé dans la nature, entre les montagnes de l'homme et de la femme. C'est donc un lieu propice pour l'activité qui nous est proposée. A noter qu'il existe aussi des montagnes de l'enfant, des mariés, des défunts ou des cadavres. Nous sommes donc finalement assez bien tombés je l'admets.

Alberto est le curandero de Bacpancel, c'est-à-dire le guérisseur traditionnel. Il commence par nous faire asseoir en arc de cercle directement dans l'herbe, en contact avec la terre. Pendant ce temps, il se change et enfile une blouse blanche. On dirait un docteur ou un biologiste ainsi vêtu.

Don Alberto, curandero de Bacpancel, en plein préparatifs de la cérémonie

Alberto sort et prépare ensuite son matériel. Il va en effet nous ausculter les uns après les autres. Il commence par déplier et étaler une étoffe bleue (la couleur du tissu change chaque jour, le bleu étant réservé pour le mercredi). Puis il pose dessus des feuilles, des oranges, des bananes classiques et d'autres rouges, une sorte de conque (coquillage), des baguettes de bois avec des étoiles et une petite épée en fer. chaque objet semble avoir sa place. Il sort également des bougies, une pour chaque personne présente, et les allume en les affectant à une personne.

Don Alberto, curandero de Bacpancel, en plein préparatifs de la cérémonie    Le matériel disposé par Don Alberto pour la cérémonie

En guise d'introduction, il nous fait part de son profond respect pour le soleil, la lune, les étoiles, l'air, le feu, la terre (la Pachamama), l'eau, ... en un mot pour la Nature. Il évoque aussi la Croix du Sud, par opposition à notre étoile polaire. La Croix du Sud symbolise pour lui l'interconnection entre deux cultures :

- la culture catholique avec la Croix, le Christ, la couronne d'épines, le coeur transpercé, la lance, le calice, l'ostie, ...

- la culture cañar avec le respect de la Pachamama, de la Nature et des éléments.

Il y aurait des équilibres et des déséquilibres dans la Nature. La pollution et l'activité humaine provoquent des déséquilibres que le curandero doit "rééquilibrer". Il mentionne l'entente nécessaire entre les êtres humains, comme avec les animaux, les plantes, ...

Il continue alors la préparation du rituel en sortant un récipient avec des oeufs, une bouteille d'eau, une tasse en verre translucide et une clochette. Le 1er "patient" est invité à prendre place entre lui et l'étoffe bleue. Il faut être pieds nus (en contact avec la terre) et avoir retiré tous nos objets métalliques. Alberto dépose un oeuf dans la main droite du patient et en prend également un dans la sienne. Il fait alors tourner sa main et l'oeuf tout autour de la tête puis du corps du patient en le secouant et ce jusqu'aux pieds. Si l'oeuf casse, il en prend un autre. Cette étape constitue la phase d'auscultation.

Don Alberto osculte une

Il casse ensuite l'oeuf dans la tasse translucide remplie d'eau, puis il observe. Il jette le tout dans les buissons, récupère l'oeuf du patient, le casse dans la tasse et observe. Puis il pose son diagnostic : émotions, douleurs, ... Là vous y croyez ou pas. J'avoue que même en restant ouvert d'esprit, j'ai un peu de mal à y croire.

Don Alberto établit son diagnostic en cassant les oeufs et observant les jaunes

La consultation se termine par la phase curative : application de lotions (au tabac, à la rose, ...), couverture d'un drap sur la tête (façon fantôme) et sonneries de clochettes, crachats d'alcool sur la zone douloureuse, fumigations avec un cigare, manipulations style kiné. L'évantail est large et ne concerne pas tout le monde (heureusement pour le crachat ou la fumigation !).

Don Alberto passe à la phase de traitement

La consultation est terminée. Au suivant !

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Commentaires
C
Excellent reportage qui reflète exactement l'expérience que j'ai vécue à Bacpancel avec le groupe Double sens. Et c'est avec plaisir que j'ai redécouvert des photos des femmes de San Juan ... Quelle belle expérience humaine et solidaire !<br /> <br /> Cela donne vraiment envie d'y retourner !!! ... et je compte bien retourner en Equateur car je parraine Luis , un garçon qui vit dans le centre du pays dans la Cordillère des Andes !
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