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Le tour du monde en 80 clics

23 octobre 2012

Bienvenue !

Ce blog "Le tour du monde en 80 clics" vous propose de partir dans les prochains mois pour un tour du monde en images depuis votre canapé ou votre siège. Pas besoin de valises, une simple souris vous suffit ! Au programme : des paysages insolites ou à...
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4 mars 2018

Voyage en Palestine sur le sentier d'Abraham

Brève introduction

Notre planète regorge de lieux exceptionnels que ce soit sur le plan naturel, culturel, historique ou autre. Ce blog en donne quelques exemples. Pourtant, l'un de ces lieux est de mon point de vue un peu à part : il s'agit de la Terre Sainte qui recouvre les territoires d'Israël et de la Palestine.

Localisation de la Cisjordanie

3 raisons m'amènent à le penser :

1) Habitée depuis quelques 2 millions d'années, cette terre a en effet connu un premier bouleversement majeur il y a entre 8 000 et 10 000 ans environ. A cette époque - et peu après la Mésopotamie sa voisine -, ses habitants ont commencé à abandonner leur vie de chasseurs-cueilleurs et à se regrouper dans de gros bourgs, ancêtres de nos villes. Ils se sont alors progressivement mis à cultiver des céréales et à domestiquer des animaux. La ville de Jéricho, située dans les Territoires Palestiniens, a été l'un des théâtres de cette révolution de nos modes de vie si bien qu'elle est aujourd'hui l'une des plus anciennes cités de notre planète. Habitée en continu depuis cette période de surcroit !

Ruines du palais d'Hérode dans les environs de Jéricho

2) Deuxième et principale singularité, cette terre est 3 fois sainte car elle est le berceau du judaïsme et du christianisme, tout en étant hautement sacrée pour les musulmans et les Bahaïs. Cette terre a d'abord été foulée par des rois, des prophètes, des apôtres et des saints mentionnés dans le Talmud ou la Bible. Le Christ y est né, y a vécu, y est mort crucifié avant de réssuciter. Enfin Mahomet y serait "passé" (cf. fin de ce paragraphe). Un seul lieu, le Mont du Temple ou Haram ash-Sharif à Jérusalem, résume à lui seul la situation : Adam y aurait été façonné par Dieu ; Caïn, Abel et Noé l'auraient fréquenté ; Abraham aurait tenté d'y sacrifier son fils Isaac ; le roi David y a érigé un autel et son fils Salomon le premier Temple (détruit par Nabuchodonosor II de Babylone, puis reconstruit et remplacé par le second Temple). Mahomet y aurait entrepris son voyage nocturne vers la "mosquée la plus lointaine" si bien que, pour les musulmans, Jérusalem est leur 3ème lieu saint après La Mecque et Médine.

Jérusalem et le Mont du Temple

3) Compte tenu du point précédent, cette terre a été âprement disputée tout au long de l'Histoire. De nombreux conflits ont ponctuée son histoire, les plus célèbres étant sans doute les invasions romaines, perses, arabes, et bien entendu les croisades qui ont vu se confronter des modèles civilisationnels distincts. De nos jours, le conflit israëlo-palestinien continue de sévir et envenime les relations entre les habitants et au-delà dans toute la région.

 

Jour 1 : premier passage de la Frontière

C'est avec ces considérations en tête que je me suis envolé il y a quelques temps pour Israël et la Cisjordanie (Palestine). Le désenchantement a été rapide et brutal à cause de ce contexte géopolitique si particulier. Dès l'aéroport, j'étais invité à ne pas déclarer aux agents de la douane que j'allais me rendre dans les Territoires Palestiniens, ou en tout cas pas de façon trop précise. Cela peut causer des complications m'a-t-on prévenu (questionnements ou plus rarement refus d'entrer sur le territoire) alors même que le but de mon séjour était purement touristique. De son côté, le douanier m'a remis un petit récipicé "volant" à conserver tout le séjour : c'était mon visa. Il faut savoir qu'Israël ne tamponne pas les passeports de ses visiteurs étrangers pour ne pas entrainer de complications en cas de visites ultérieures dans certains pays arabes. L'inverse est également vrai : évitez d'avoir des tampons/visas de certains pays arabes sous peine d'être questionné plus ou moins longtemps dans une salle atenante.

Je passe les formalités sans problème, ce qui ne sera pas le cas de tout le monde. Je remarque une dizaine de personnes patientant dans une salle vitrée. A la sortie de l'aéroport, il fait nuit. Un bus m'a récupéré avec les autres co-voyageurs pour nous conduire à Bethléem, dans les Territoires Palestiniens. Nous empruntons une autoroute très confortable reliant la capitale Tel-Aviv à Jérusalem. Comme sur chaque autoroute, on devine de simples grillages des deux côtés de la chaussée, sans doute pour empêcher les animaux et les resquilleurs.

Une bonne heure plus tard (à cause des embouteillages), nous arrivons à Jérusalem que nous contournons par ses banlieues. Bethléem étant une banlieue au sud de la ville sainte, mais une banlieue palestinienne, nous devons passer par un des checkpoints routiers officiels. Nous avons été prévenus que les contrôles pouvaient être plus ou moins soutenus, que les soldats pourraient éventuellement monter dans le bus pour inspection. Nous passons pourtant sans nous arrêter, en ralentissant simplement. De part et d'autre du véhicule se dresse un haut mur de béton de 9m de haut avec des barbelés au sommet. Des soldats jettent un coup d'oeil rapide dans les véhicules. Etrange sensation pour nous qui venons d'un pays en paix !

La fin de notre trajet est beaucoup plus classique. A notre arrivée à l'hôtel, des membres du personnel nous attendent malgré l'heure tardive et nous servent même un repas chaud. Puis vient l'heure d'aller se coucher.

 

Jour 2 : le Mur de la Honte

Le lendemain matin, il fait jour lorsque je me réveille. Curieuses sensations. Nous sommes dans un des hauts lieux de la Terre Sainte : Bethléem, la ville où le Christ est né dans une modeste étable il y a plus de 2 000 ans. Or cette ville existe toujours aujourd'hui malgré l'histoire mouvementée de la région au cours de ces deux derniers millénaires. La cité a bien entendu beaucoup changé depuis ces temps historiques. Elle s'est vraisemblablement agrandie, a couvert les collines environnantes jusqu'à devenir une sorte de banlieue de Jérusalem. Il n'empêche, elle a été le théâtre d'un des plus grands évènements de l'Histoire.

Nous partons visiter la ville en marchant accompagnés par une guide chrétienne qui y habite. Tout est tranquille et paisible en ce début de journée ensoleillée. Le voyage commence vraiment, avec toutes ses promesses de découvertes et de rencontres. Nous traversons d'abord une partie de la ville moderne aux environs de l'université, puis rejoignons une plus grosse artère. En face de nous, des collines couvertes d'immeubles.

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Nous tournons sur la droite. Tout au fond de la rue, j'aperçois un mur, le Mur, qui semble barrer la route. 1ère rencontre car il faisait nuit hier soir. La guide nous tire de notre contemplation silencieuse pour nous signaler l'emplacement d'un camp de réfugiés sur notre droite. Il ne faut pas imaginer un camp de tentes blanches aux couleurs de l'ONU ou d'une organisation caritative internationale. Non, il s'agit d'un camp en dur car vieux de plusieurs décennies. Il a accueilli des réfugiés palestiniens suite aux premiers conflits majeurs avec Israël. Il consiste en des immeubles en briques crues qui s'élèvent sur plusieurs étages et en des ruelles étroites. Il serait passé inaperçu pour moi sans l'intervention de la guide.

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Un peu plus loin, de l'autre côté de la rue, un hôtel élégant avec un ravissant patio. Deux mondes distincts se côtoient à quelques mètres de distance. Et ce n'est pas fini...

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Nous nous rapprochons du mur qui semble se dresser de plus en plus haut. Il fait 9m de hauteur (comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire) et est surmonté de barbelés. Tout en béton brut, il est couvert de graffitis dans sa partie inférieure. Des témoignages laissés par des artistes, des militants ou des visiteurs du monde entier. Une ouverture semble pratiquée sur cette portion pour laisser passer les forces israëliennes en cas de besoin. De même, des panneaux de béton d'environ 2m, également couverts de graffitis, sont disséminés ça et là. La guide nous explique qu'ils servent de protection et d'abris aux forces israëliennes en cas d'interventions face à des "émeutiers" palestiniens.

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A cet endroit précis, le mur-porte ne fait probablement que 8 mètres, mais il est bordé d'un mirador. Ce dernier est menaçant avec ses étroites ouvertures garantissant une vision à 360° et sa façade noircit, témoignages d'assaults passés. Il arbore un drapeau israëlien juste sous les ouvertures. On y devine des soldats israëliens. Cette première image, aussi anticipée soit-elle, est pénible, dérangeante pour ne pas dire choquante une fois sur place. Le silence s'impose.

En habituée, la guide ne fait que peu de commentaires et nous invite à prendre des photos. Elle nous fait ensuite contourner le mirador et nous laisse 30 minutes pour aller explorer seuls le Mur de la Honte à notre rythme. Tout de suite après le mirador, nous découvrons une rue coupée en deux par le mur et abritant des stations-services. La rue est déserte et silencieuse. Les graffitis se font ici oeuvre d'arts et/ou messages politiques. Beaucoup appellent à la paix ou relèvent l'absurdité de la situation.

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Nous suivons le tracé du Mur, chacun à son rythme. Il est sinueux et incompréhensible. Il fait un ensemble de boucles si bien que j'ai plusieurs fois l'impression d'être quasiment derrière le mur où j'étais quelques minutes auparavant. Les graffitis se suivent, chacun véhiculant son message avec des mots ou des images, voire les deux. Certains sont récents, d'autres ont été recouverts de peinture par les Israëliens, comme cette oeuvre du célèbre artiste Bansky montrant Netanyahu et Trump s'embrassant.

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Plus loin, la rue qui borde le Mur descend sur quelques dizaines de mètres. Quelques dizaine de mètres seulement car le Mur opère alors un brusque virage à gauche de 90° avant de réapparaitre presque immédiatement à la perpendiculaire de la voie sur laquelle nous cheminons. Curieux... Cet endroit est en tout cas la 1ère occasion pour nous de voir l'au-delà du Mur. Qu'y voit-on ? Cette même barrière de béton qui ondule sur la colline d'en face. A sa gauche, une ville et des entrepôts en béton paraissent entassés. C'est la Cisjordanie. A sa droite, une colline arborée, naturelle. C'est Israël. Deux paysages antagonistes se côtoient séparés par une stupide barrière. Deux mondes opposés.

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Mais revenons à notre rue en pente et à l'endroit où le mur se renfonce brutalement. Nous découvrons qu'il contourne en fait un petit immeuble et un terrain vague. Ceux-ci sont donc entourés par le mur sur trois côtés. L'immeuble est en fait un garage, boutique-souvenirs et petite auberge. Nous échangeons avec ses habitants qui parlent anglais. Le Mur que nous avons contourné fait bien une incursion en forme de boucle à l'intérieur du territoire palestinien au mépris de tous les accords conclus. La raison ? Il protège un édifice sacré pour les Juifs, le tombeau de Rachel, qui se retrouve de facto en territoire israëlien. Pourquoi sont-ils ainsi protégés et le mur fait-il un détour spécialement pour leur maison (qui aurait pu être détruite comme les autres) ? Nous ne le saurons pas. Toujours est-il qu'ils ont interdiction de monter sur leur terrasse sans autorisation des autorités israëliennes et doivent laisser fermer les fenêtres qui dépassent au-dessus du mur. Tout contrevenant s'expose à une riposte quasi-immédiate. Drôle de vie pour ces habitants très aimables au premier abord.

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Nous continuons un peu avant de faire demi-tour car l'heure tourne. Il est temps de rejoindre la guide pour découvrir l'autre facette plus connue de Bethléem, la vieille ville et sa Basilique de la Nativité. Cette première découverte de la Cisjordanie laisse perplexe, et même un goût amer. Pauvres habitants qui vivent à l'ombre de ce Mur de la Honte !

Au fur et à mesure que nous nous éloignons, la vie reprend ses droits. Des échoppes vendent de tout et de rien. Les voitures sont plus nombreuses. Des piétons font leurs courses. En face de nous, se dresse le petit promontoire sur lequel se situe la vieille ville. Nous le grimpons et débouchons sur la très belle rue de l'Etoile. L'architecture se fait élégante et raffinée. On se croirait désormais dans une autre ville alors que nous n'avons parcouru que quelques centaines de mètres.

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Je remarque d'abord les belles habitations en pierre de taille. L'harmonie architecturale est impressionnante. La guide en profite pour nous révèler quelques détails chrétiens et arabes sur leurs façades, témoignages de la longue histoire de la cité. Non loin de là, plusieurs églises dressent fièrement leurs clochers vers le ciel. Chacune possède son propre style sachant qu'elles appartiennent à différents courants chrétiens.

Tout au bout de la rue tortueuse, à l'entrée de la place de la Mangeoire, la mosquée d'Omar se dresse pile en face à la Basilique de la Nativité. Et dans la Basilique elle-même, les divers courants chrétiens se partagent l'espace selon des règles très rigoureusement établies (tel lustre appartient à untel). Cette cohabitation des édifices religieux et la présence même de la Basilique créé une atmosphère particulière ... et livre un message de tolérance radicalement contraire à l'atmosphère créée par le Mur.

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Après la visite de la Basilique et une halte falafel revigorante, nous empruntons un minibus pour nous rendre jusqu'à la Mer Morte. Ce lieu est singulier à plus d'un titre. C'est d'abord le point le plus bas sur terre : -428m (en-dessous du niveau de la mer) ! C'est aussi une frontière naturelle entre Israël/Palestine et le royaume de Jordanie sur la rive opposée. Cette mer intérieure est enfin alimentée par les eaux du mythique Jourdain et par quelques sources souterraines. Mais, comme 95% des eaux du Jourdain sont détournées par Israël à des fins agricoles et que la chaleur de la région conduit à une très forte évaporation, la Mer Morte s'assèche peu à peu et son taux de salinité s'accroit. Cette salinité est telle que vous avez sûrement déjà vu ces photos de baigneurs en train d'y lire leur journal, flottant à la surface comme un bouchon de liège. 

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Le trajet nous prend une quarantaine de minutes au milieu d'un paysage aride. Dans le cadre de notre excursion touristique, nous nous livrons ensuite à l'expérience du bain dans la Mer Morte dans une pseudo "station balnéaire" privée. Une espèce de plage privée en quelques sortes. Seules consignes distinctement affichées à plusieurs endroits : rester dans la (petite) zone de baignade et ne pas mettre la tête sous l'eau sous peine de réactions désagréables pour les yeux. Premier contact avec l'eau, rien de particulier à signaler. Le dénivelé est très faible. Il faut donc s'éloigner du rivage pour en avoir jusqu'à la taille. Puis, immersion jusqu'aux épaules et là effectivement les pieds décollent et vous basculez sur le dos ou le ventre, la tête au-dessus des flots. Drôles de sensations. Votre corps est aussi très lisse avec le sel. Allongé les doigts de pieds en évantail, vous pouvez alors admirer la rive opposée. A quelques kilomètres à peine, c'est la Jordanie. En sortant de l'eau, une douche à l'air libre permet de rincer un minimum la couche de sel qui vous entoure.

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Il ne nous reste plus qu'à gagner notre ville-étape de ce soir : la célèbre Jéricho, mentionnée dans la Bible ou dans une chanson de Gospel. La journée a été très riche à tous les niveaux : passer du Mur de la Honte à la Basilique de la Nativité avant de rallier la Mer Morte garantit 3 expériences fort distinctes. Et pourtant ce n'est pas fini... A l'entrée de Jéricho, les militaires israéliens ont installé un panneau rouge à destination de leurs ressortissants. Ce panneau indique que nous pénètrons en "zone A" qui est interdite aux citoyens israéliens sous peine de danger de mort.

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Qu'est-ce que cette "zone A" dont je n'avais jamais entendu parler ???

Notre guide nous apprend que la Cisjordanie est divisée en 3 zones :

- la Zone A entièrement sous contrôle de l'Autorité Palestinienne, que ce soit sur le plan civil ou militaire. Elle couvre 17% du territoire.

- la Zone B sous contrôle civil palestinien, mais contrôle militaire israélien. elle couvre 24% du territoire.

- la Zone C entièrement sous contrôle israélien, que ce soit sur le plan civil ou militaire. Elle couvre environ 59% du territoire dont le réseau routier "national".

Nous apprendrons également plus tard que, dans les faits, Israël pénètre quand il veut et comme il veut dans les zones A et B ...en infraction de tous les accords conclus. De même, la Zone C ne cesse de gagner du terrain "par la force" alors que le statu-quo devrait prévaloir. Israël ne laisse pas le choix aux habitants des zones ainsi envahies. Raisons de sécurité nationale dit-elle... 

Bref nous voilà replongés brutalement dans une atmosphère de conflit. Les chekpoints dressés par l'Autorité Palestinienne à l'entrée de Jéricho - de gros blocs de bétons en travers de la route - nous le rappellent. De même qu'un hôtel de luxe aujourd'hui abandonné quelques mètres plus loin. Le reste de la ville semble plus classique et la vie a regagné ces droits. On pourrait être dans n'importe quelle ville arabe.

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Ce soir, nous logeons dans le camp de réfugiés palestiniens d'Aqbat Jaber créé en 1948 suite à la proclamation de l'Etat d'Israël. Des femmes de ce camp se sont en effet organisées en association et y gèrent une guest house pour accueillir les touristes de passage. Elles nous logent, préparent les repas et nous font même l'honneur de parler de leur vie au sein du camp et à l'association. 

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C'est à la fin du diner le deuxième soir que la présidente de l'association prend la parole entourée par ses consoeurs. Elle nous remercie de notre venue et nous invite à parler de leurs oeuvres à notre retour pour que de nouveaux visiteurs viennent les voir. Elle nous explique ensuite qu'en dehors de la guest house, les femmes ont créé un salon de beauté au sein du camp et conduisent des missions sociales pour les enfants et les anciens. Les conditions de vie ne sont pas faciles dans le camp (l'accès à l'eau est par exemple fortement rationné et contrôlé par Israël), mais elles essayent de l'agrémenter en recréant du lien social, de la solidarité et de l'activité économique. Belle leçon de vie qui amène forcément à réfléchir.

 

Jours 3 à 5 : le désert de Judée

Au cours des 3 prochains jours, nous allons effectuer 3 randonnées dans 3 endroits du désert de Judée. C'est l'occasion de découvrir une nouvelle facette du pays et de rencontrer quelques bédouins. De ralentir le rythme aussi pour adopter celui, plus posé, de la marche.

Ce matin, nous partons à pied depuis la guest house. A la sortie du camp d'Aqbat Jaber, nous débouchons sur un carrefour. En son centre se dresse une clé avec des inscriptions arabes. Le guide nous explique que c'est la clé du retour. Elle symbolise le retour futur des Palestiniens sur leurs terres, celles qu'ils ont quitté après la fondation d'Israël et suite à la guerre des 6 jours en 1967. Nous traversons ensuite des quartiers périphériques de Jéricho et gagnons progressivement le désert.

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Nous marquons une première étape sur les ruines du palais d'Hérode. Elles sont ouvertes aux 4 vents, libres d'accès, au pied des collines, en bordure de champs. Nous surplombons légèrement la ville de Jéricho que l'on aperçoit plus loin devant nous. Sur notre gauche, se dresse un village ou les derniers faubourgs de Jéricho.

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Puis nous reprenons la marche en nous enfonçant dans le Wadi Qelt. Il s'agit d'un canyon de plus en plus profond et dépourvu d'eau (à cette période de l'année en tout cas). Nous marchons à flanc de colline sur un sentier sinueux mais très bien tracé. Le paysage est dépouillé à l'extrême et se révèle donc envoûtant. Au bout d'un moment, des croix chrétiennes apparaissent les unes après les autres. Insolite à cet endroit. Le guide nous explique qu'elles sont au nombre de 13 et servent à délimiter le territoire du monastère orthodoxe Saint-Georges. Nous apercevons d'abord un berger bédouin et son troupeau de chèvres après plusieurs heures de marche. Le premier homme que nous rencontrons depuis notre entrée dans le wadi. Puis juste derrière émerge le monastère lui-même précédée d'une petite chapelle arménienne, creusés dans la paroi rocheuse. Le panorama est somptueux.

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Nous marquons une étape au monastère que nous visitons assez rapidement car les pélerins orthodoxes se succèdent et les messes avec elles. Puis nous reprenons la marche dans le sinueux wadi. Le chemin s'élève jusqu'au sommet des collines. Le paysage prend davantage de relief. Au milieu de l'après-midi, la végétation fait son retour alors que nous longeons des canaux d'irrigation depuis un moment. Puis, nous paercevons les premières constructions humaines : un blockhaus ottomans d'abord, puis une ferme habitée que nous contournons, enfin un acqueduc en ruines. Nous débouchons alors sur une piste que nous remontons jusqu'à un point de vue panoramique.

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Notre minibus vient nous chercher pour nous amener au site de Nabi Musa. Pour les musulmans c'est là que Moïse serait enterré si bien qu'une mosquée a été élevée à cet endroit. Elle abrite aussi des cellules/chambres pour les voyageurs en cours de rénovation. Elle est entourée d'un cimetière musulman. L'édifice extérieur est très beau, mis en valeur sans doute par le désert environnant. Nous effectuons une rapide visite sans rentrer dans la mosquée à cause de la rando que nous venons de faire et de notre "état de fraicheur" associé. Puis c'est le retour jusqu'à la guest-house d'Aqbat Jaber pour un repos bien mérité.

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Deuxième jour, nous quittons définitivement la guest-house. Nous remercions donc les femmes pour leur hospitalité et les félicitons pour leurs actions. Puis nous prenons la route direction le désert. Nous repassons devant le site de Nabi Musa et continuons sur la piste. Nous dépassons un camp militaire israélien avec des barraquements et quelques tentes. Nous nous arrêtons quelques kilomètres plus loin et amorçons notre deuxième randonnée. Nous sommes sur un vaste plateau désertique et de hautes collines nous font face. Nous nous dirigeons vers elles.

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Au bout d'une bonne heure et d'une petite grimpette, nous découvrons une ancienne cité en ruine au sommet d'une colline. La vue alentour est panoramique. En parcourant librement le site, nous découvrons des abris troglodytes, c'est-à-dire creusé dans la roche.

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Nous poursuivons notre marche à travers les collines et atteignons en fin de matinée le somptueux monastère orthodoxe de Mar Saba. Une vraie merveille dont la visite est malheureusement interdite aux femmes. Quelques moines y vivent à résidence et accueillent pélerins et visiteurs. Outre les chapelles, églises et les terrasses panoramiques, la visite vaut aussi le coup pour ses belles mosaïques, d'autant plus surprenantes que nous sommes en plein désert. 

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Nous poursuivons notre cheminement à travers les collines arides jusqu'à atteindre une guest house au milieu du désert. Nous y passons la soirée autour d'un feu de camp, d'un repas traditionnel et dans une ambiance conviviale. Un fennec rôde autour de nous dans la nuit. Craintif, il s'en va puis revient, à l'affut du moindre petit bout de nourriture. La température a nettement fraichi au cours de la soirée et les étoiles sont grimpées dans le ciel. Une journée supplémentaire vient de s'écouler.

 

En ce troisième jour, nous devons rallier un campement bédouin où nous avons prévu de dormir ce soir. Un minibus vient nous chercher pour nous amener au point de départ de la randonnée. Sur la route, nous traversons quelques villages palestiniens et passons à proximité de colonies israéliennes retranchées derrière leurs grillages. Ces dernières sont en effet interdites d'accès, protégées par des grilles et des agents de sécurité alors que les villages palestiniens sont ouverts aux quatre vents. Ces colonies sont de plus généralement desservies par de belles routes bitumées quand les villages palestiniens alentour n'ont "le droit" qu'à leur route historique, voire parfois à une simple piste. Cela rappelle quelques facettes de l'Afrique du Sud...

Il convient ici d'ouvrir une parenthèse pour signaler que ces colonies israéliennes sont installées (illégalement) en territoire palestinien. Elles viennent progressivement et volontairement "miter" le territoire convoité au nom de motivations nationalistes et/ou prosélystes. Elles sont la résultante d'une minorité virulente, activiste, parfois extrémiste, qui relègue la majorité silencieuse de leur population d'origine dans l'oubli et l'embarras.  

D'après les lectures effectuées à mon retour, le mode opératoire des colons est assez simple. Ils repèrent un terrain non exploité par son occupant et viennent s'y installer à un ou plusieurs (en étant armé bien entendu). Dans le désert comme ici, ils installent une ou plusieurs caravanes qui au bout d'un certain temps seront complétées par des abris ...avant de céder la place à de vraies constructions en dur. Les armes peuvent être utiles dans un premier temps par leur fonction menaçante. Mais les colons sont rapidement défendus par leur armée (qui assure la protection de ses concitoyens) et s'appuient aussi sur des arguments juridiques. La loi ottomane en vigueur en Palestine stipule par exemple qu'un terrain non cultivé pendant plusieurs années peut être repris par quelqu'un susceptible de le mettre en valeur. Qu'à cela ne tienne, notre ou nos colons installe(nt) un pneu devant leurs caravanes. Celui-ci est rempli de terre, on y a semé une graine ou un végétal et on l'arrose régulièrement. Rien ne pousse facilement dans ces terres désertiques, mais ces fragiles "cultures hors-sols" suffisent à s'approprier un terrain. Fin de la parenthèse.

Notre minibus nous dépose justement non loin d'une de ces colonies récentes. Nous nous en écartons pour cheminer vers des habitations bédouins que traversent des troupeaux de chèvres. La région en est remplie comme nous aurons l'occasion de le constater au cours des 24 prochaines heures. Puis nous marchons à travers les collines dans un paysage toujours aussi désertique et envoûtant. On se croirait dans un autre monde où le temps n'a pas la même emprise. Ici, on vit au rythme de la ruralité et de la course du soleil. Tout est paisible et naturel. De temps en temps, une espèce de F16 israélien vient rompre le calme. C'est son territoire d'entrainement. Toujours ces symboles d'agressivité... Quel dommage !

Une colonie israélienne récente    Paysage désertique typique de ce coin du désert de Judée

Le désert que nous traversons s'étend à perte de vue. On dirait une vaste étendue inhabitée. Et pourtant la vie y foisonne ...aussi difficile soit-elle. Nous croisons d'abord 2 femmes et 2 enfants.Elles se rendent de leur campement au village voisin à pied. Plus loin, un campement bédouin s'est installé sur des terres arides et a développé au fil du temps un puits de verdure. Plus loin encore, nous apercevons des bergers se déplaçant avec leur troupeau. Et que dire de cet arbre isolé au milieu d'un "océan" de terres arides aperçu au cours de l'après-midi !

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Nous effectuons auparavant une halte chez nos hôtes bédouins de ce soir, le temps de se ressourcer un peu à l'ombre et de déjeuner. Puis nous reprenons la marche à travers l'immense plateau désertique. Il est 13h30 et nous devons rallier la Mer Morte avant le coucher du soleil. Difficile d'imaginer une telle étendue d'eau dans ce paysage.

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Et pourtant elle apparait d'un seul coup, de façon magique, après plusieurs heures de marche et après avoir atteint un énième promontoire. Le point de vue est sincèrement à couper le souffle de par sa beauté :

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On se croirait presque à bord d'un avion, en train de regarder le paysage en contrebas à travers le hublot. Sauf qu'ici la vue est panoramique sur 180°, les couleurs changent au fur et à mesure que le soleil décroit, et l'air est pur.

Dans ces conditions, assister à un coucher de soleil ici est une chance que je savoure à fond. D'autant plus que le guide nous précise que les Palestiniens n'ont pas le droit d'accéder à la Mer Morte en contrebas. Ils doivent la contempler depuis la falaise qui est un territoire palestinien. En bas, c'est Israël qui décide de tout et les Palestiniens ne sont pas les bienvenus. Et honnêtement, qui donc viendra jusqu'ici pour contempler la vue alors qu'il faut traverser une portion de désert pour y accéder ? Je vois mal une famille avec ses enfants à l'occasion d'une sortie du week-end. Les Israéliens lambda non plus ne peuvent venir ici. Bref tout le monde est perdant une nouvelle fois...

Cette Mer Morte que je contemple en ce moment m'évoque aussi une autre injustice entendue quelques jours auparavant. Pour se rendre à l'étranger, les Palestiniens n'ont pas le droit de se rendre à l'aéroport international de Tel-Aviv, le seul du "pays" et le plus proche. Ou plutôt ils ont besoin d'une autorisation délivrée très rarement. Bref, pour sortir de chez eux et voyager à l'étranger, les détenteurs d'un passeport palestinien doivent aller jusqu'à Amman, la capitale de la Jordanie voisine. Ce qui engendre des frais supplémentaires et nécessite de partir très tôt pour avoir son vol.

Le soleil couché, des pick-up viennent nous chercher. Nous grimpons sur la plateforme arrière et démarrons sans tarder. La piste en terre est très chaotique et ondulante. Le jour décline rapidement et le froid se fait plus vif. Au campement, nous nous réfugions sous la tente commune où nous prenons le diner. Puis je décide de dormir dans cette tente commune au lieu d'une grande tente aménagée pour les invités. Une autre membre du groupe fait de même. Nous nous calfeutrons sous deux couvertures. Dans la nuit, les hommes du camp viennent nous rejoindre. Un fennec rôde aussi un moment. Puis je sombre dans le sommeil.

 

Jour 6 : Hébron, l'humiliée

Une nouvelle aube se lève sur le désert. La nuit a été bonne bien que fraiche. Après le petit déjeuner, nous quittons nos bédouins pour rejoindre Hébron. Retour à la "civilisation" en perspective. Dès le démarrage, les troupeaux sont partout, le désert foisonne de vie.

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Puis, nous nous retrouvons vite seuls. Nous apercevons des campements ici ou là, des villages au sommet des collines. Le paysage est toujours aussi sauvage et inhospitalier, toujours aussi vallonné également. La seule parenthèse survient lorsque nous remontons un wadi, mais ce sera la seule entorse à l'unicité du paysage.

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Nous marchons ainsi toute la matinée pour nous retrouver dans les environs de Hassassa. Nous marquons une pause à l'entrée du village jusqu'à ce qu'un bus scolaire typique des séries US viennent nous récupérer. Direction Hébron avec un petit serrement au coeur de quitter cette Nature paisible.

Arrivés en ville, nous déjeunons dans un petit restaurant style kébab. Puis, nous rejoignons le centre-ville historique. Il y a beaucoup de monde partout car c'est jour de fête. De part et d'autre, les bâtiments sont imposants et en pierre de taille. L'unicité architecturale me séduit et donne un cachet à la vieille ville.

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Nous pénétrons rapidement dans un souk. L'ambiance est particulière, moins effervescente que dans d'autres souks du monde arabe. La plupart des magasins ont en effet la devanture métallique baissée et le soleil tape en plein sur la rue non couverte. Sans doute est-ce parce que nous sommes un jour de fête donc un jour férié ?

Nous continuons notre déambulation et rejoignons une partie couverte un peu plus fréquentée et animée. Un semblant de normalité. Et puis, nous arrivons sous une voûte en pierre. Devant nous se dresse un grillage épais qui barre le passage : un chekpoint israélien ! Comme en Afrique du Sud lors de l'apartheid, nous avons de la chance d'être de la bonne "couleur" ou "origine". Nous passons donc comme une lettre à la Poste. Notre guide, Palestinien, subit quant à lui une fouille similaire à celle des aéroports (montrer ses papiers, enlever sa ceinture, palpation rapide). Mais nous passons tous.

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A peine sortis du checkpoint, un autre se dresse sur notre gauche. Derrière se trouve le Tombeau des Patriarches sacré à la fois pour les Juifs et les Musulmans (c'est le 2ème lieu saint de Palestine après le Mont du Temple). Il abrite les tombeaux d'Abraham et sa femme Sarah, de leur fils Isaac et sa femme Rébecca, de son petit fils Jacob et sa femme Léa. Bien entendu, compte tenu du contexte géopolitique, la moitié du site est réservé aux Juifs, l'autre aux Musulmans. Tous ont accès aux tombeaux en visu derrière des grillages.

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 Nous poursuivons la découverte de la ville. Nous nous éloignons de la zone des checkpoints en descendant la rue. Nous débouchons sur une zone fantôme. A gauche, des soldats israéliens, armés, empêchent le passage à tous les musulmans ("Are you muslims ?" nous demanderont-ils le lendemain matin). A droite débute une rue morte. Notre guide nous explique qu'elle est le théâtre des affrontements récurrents entre communautés. Les commerçants palestiniens ont reçu l'ordre d'y baisser le rideau de leur boutique tandis que des colons israéliens ont pris possession des lieux et arborent fièrement leur drapeau aux fenêtres. Pourquoi les habitants originels ne réagissent-ils pas ? Les réponses sont multiples : menaces, intimidations, nouveaux occupants armés et défendus par l'armée. Réagissez et vous avez des problèmes assurés.

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Plus loin dans la même rue, j'aperçois une guérite militaire avec deux soldats devant et deux femmes voilées à leurs côtés. Ici, nous sommes en territoire palestinien, là-bas c'est la colonie israélienne (défendue aux Palestiniens cela va de soi). Je constaterai plus tard qu'une des deux femmes attend un soldat qui l'escortera pour traverser la zone interdite jusqu'à son logement. drôle de vie.

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Nous continuons toujours et arrivons sur une esplanade. Nous tournons sur la droite et nous trouvons devant un nouveau checkpoint. A notre droite encore, toujours la même colonie israélienne. Le guide nous explique que certains enfants ont peur de franchir ces checkpoints de peur de rester enfermés plus ou moins longtemps dans le sas avec les soldats israéliens. Drôle de vie pour des enfants... Les habitants doivent eux-aussi en tenir compte dans leur temps de déplacement, tout en sachant que ces portes peuvent se fermer à tout moment, sans explication et pour une durée indéterminée.

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J'ai oublié d'expliquer jusqu'ici la situation spécifique de la ville, véritable poudrière au sein d'un territoire lui-même explosif. En janvier 1997 a été ratifié le "Protocole de redéploiement dans la ville d'Hébron". Il scinde la ville en deux : H1 sous contrôle palestinien représente 80% du territoire de l'agglomération, H2 sous contrôle israélien représente les 20% restants. Le problème, c'est que la colonie israélienne mite la partie palestinienne, et tout cela dans le coeur historique sacré pour les deux religions. Les chiffres sont éloquents : le centre-ville abrite 40 000 Palestiniens et 850 colons israéliens. 650 soldats israéliens assurent la sécurité de ces derniers. Plus de 2 soldats pour 3 colons !!!

Nous rebroussons chemin jusqu'à la grande esplanade et continuons notre progression. Nous passons devant un immeuble atypique : des drapeaux israéliens et palestiniens ornent la même façade et devant l'immeuble stationnent des colons et des soldats armés. Le guide nous explique que l'immeuble appartenait entièrement à des Palestiniens. Un jour, des colons sont arrivés et se sont appropriés une pièce de l'immeuble. Les propriétaires ont protesté verbalement mais les colons étaient armés. Petit à petit les colons grignotent l'espace, intimident les occupants d'origine, percent les murs ... sous la protection de l'armée qui doit assurer leur sécurité. Un comble ! La famille palestinienne doit s'organiser pour rester toujours présente sous peine de voir une nouvelle partie de son logement dérobé. La guerre d'usure se poursuit faite d'humiliation et d'intimidation. Dans d'autres contrées, on parlerait de pratiques mafieuses ou criminelles. Ici, cela semble normal avec la bénédiction de l'armée en quelque sorte.

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Le guide nous conduit ensuite au bout de la rue et là, la rue est littéralement coupée en deux par un grillage. H1 d'un côté, H2 de l'autre. Des soldats sont stationnés à proximité pour surveiller les déplacements. Une petite porte verrouillée existe entre les deux zones. Il faut l'accord des soldats pour la franchir. Le grillage est certes moins impressionnant que le mur de Bethléem, il n'en reste pas moins une vraie barrière de séparation entre les communautés. La résolution du conflit me semble de plus en plus compliquée à envisager compte tenu de ces conditions de vie. Malheureusement, ce n'est pas le pire...

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Nous rebroussons chemin et retournons au checkpoint à l'entrée du souk, près du Tombeau des Patriarches. Le passage se fait rapidement et sans problème dans ce sens. Nous remontons ensuite le souk. Celui-ci est de prime abord tout à fait normal et animé, mais nous découvrons rapidement l'envers du décor : au-dessus de nos têtes, les ruelles sont presque toutes couvertes soit par des tentures ou soit par de très discrets filets. Plus loin, celles-ci laissent la place à des grillages. Pour protéger les passants des chutes d'objets involontaires pensais-je naïvement. Le guide nous dévoile la réalité : les Palestiniens vivent en bas, les colons en hauteur, et ces derniers balancent leurs ordures sur les passants de la rue. De tels agissements sont-ils le fait d'êtres humains ? Il est permis d'en douter non ?

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Le guide poursuit notre circuit découverte. A la sortie du souk, un passage couvert part sur la gauche. Un ancien passage entre deux rues aujourd'hui muré par des panneaux de béton. En signe de protestation, des habitants ont peint le mur. Nous nous engouffrons dans une cage d'escalier, grimpons 3 ou 4 étages parsemés d'appartements familiaux, et nous retrouvons sur une terrasse. Celle-ci offre une belle vue sur la ville. Malheureusement, en nous retournant, on aperçoit en léger surplomb des fils de fer barbelés et un mirador. C'est le territoire des colons qui n'hésitent pas à venir de temps à autres percer les citernes d'eau des palestiniens stockées sur le toit. Ceux-ci doivent alors en racheter d'autres. Une telle attitude des colons est scandaleuse dans un pays qui manque cruellement d'eau, qui en dessallinise pour couvrir ses besoins et qui restreint volontairement la distribution de cette ressource vitale en territoire palestinien (l'eau courante ne serait disponible qu'un jour tous les vingt jours).

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 Pour terminer la visite, nous devons rallier les locaux d'une association culturelle franco-palestinienne. La porte est malheureusement fermée. Sans doute parce que c'est jour de fête. En regagnant la rue principale, de très jeunes enfants nous balancent des pierres. Nous les rappellons à l'ordre, mais ils continuent dès que nous avons tourné le dos. Savent-ils que nous sommes des touristes ou nous prennent-ils pour des Israéliens ? Dans tous les cas, leur attitude est évidemment condamnable, mais nous gardons aussi à l'esprit qu'eux n'ont connu que la guerre, l'intimidation, voire les humiliations. A peine sortons-nous de l'étroite ruelle, nous retrouvons une rue commerçante. Celle-ci est surplombée par un mirador avec un militaire en faction, séparée par un portail verrouillé et des grillages du quartier-colonie voisin. Et je remarque qu'une échoppe qui vend des jouets expose sur son étal à même la rue des armes en plastique. CQFD !

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Nous rallions le bus pour effectuer deux visites supplémentaires, puis gagnons ensuite les faubourgs éloignés de la ville. Ce soir nous dormons chez l'habitant. Et des habitants qui vivent dans un quartier aisé digne de certaines banlieues américaines. Notre dortoir dans le sous-sols de l'habitation possèdent toutes les commodités : des lits, une douche et un wc. Le salon et la cuisine nous accueillerons pour le diner. Une étudiante qui parle français viendra même nous faire la conversation. Quel luxe ! Mais à peine avons-nous posé nos affaires que nous sommes invités à prendre le thé chez la famille voisine. Deux jeunes professeurs à l'université de la ville, les parents et le frère handicapé de l'un d'eux nous reçoivent royalement et plein de curiosité. Belle soirée après une après-midi révoltante (et après 4 jours de Nature).

 

Jour 7 : Retour à Bethléem

La journée débute par une visite du Tombeau des Patriarches que nous n'avons pas visité hier en raison de la fête. Le guide ne peut pas nous accompagner et reste derrière le barrage mis en place par les soldats israéliens "Are you muslims ?" (cf. journée précédente). Nous nous dépêchons pour ne pas bloquer notre guide trop longtemps. Dès l'entrée du site, un soldat parlant français s'approche de nous et nous sert de guide. Il est courtois et avenant. Il effectue son service militaire pour les 3 années règlementaires et vient de région parisienne. J'avoue que je ne comprends pas pourquoi il vient s'engager ici volontairement alors qu'il aurait pu le faire dans son pays d'origine.

La vieille ville est aujourd'hui déserte en comparaison d'hier, mais toujours aussi belle avec ses pierres de taille et son uniformité. Nous reprenons ensuite le bus direction Bethléem. L'occasion pour moi d'évoquer ici le système des plaques d'immatriculation en Israël-Palestine. Si vous êtes Israélien ou touriste, vous obtenez une plaque jaune. Si vous êtes Palestinien, vous obtenez une plaque blanche. Impossible d'avoir l'autre couleur. Les premiers ont accès à la plupart des routes, en particulier celles en meilleur état et aux autoroutes. Les plaques blanches ont interdiction d'emprunter ce bon réseau et doivent faire des détours parfois longs, sur des routes en moins bon état (quand il s'agit de routes et non pas de pistes). Comme si ce n'était pas suffisant, les plaques blanches sont aussi confrontés à de nombreux barrages et points de contrôle, certains fixes et d'autres mobiles, où ils sont soumis au bon vouloir des "gardiens". Mais cela n'est toujours pas assez pénible alors des routes sont fermées sans annonce préalable, et sans limite de durée. Bref un Palestinien qui prend la route sait quand il part et où il veut aller, mais il ne sait ni comment, ni quand, ni même si il arrivera. En tant que touristes, nous sommes malgré tout chouchoutés.

Arrivés à Bethléem, le minibus nous dépose précisément au bout du Mur où nous nous étions arrêtés le deuxième jour avant de rebrousser chemin. C'est une zone de parkings à l'air libre et à l'ombre du Mur. Les Palestiniens qui ont la "chance" de travailler dans la ville voisine de Jérusalem, y laissent leur voiture pour rallier leur destination à pied. Ils doivent en effet franchir le Mur au checkpoint de Qalandiya vers lequel le guide nous conduit ce matin. D'autres viennent en taxis qui patientent devant la sortie du chekpoint. Pour la même raison, des vendeurs ambulants circulent alentours. Il faut dire que 50 000 Palestiniens transitent ici tous les jours. 50 000 !

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Chacune et chacun d'eux doit se lever très tôt le matin alors qu'il fait encore nuit et que le checkpoint ouvre quelques heures plus tard. Ils viennent faire la queue dans le long couloir qui ressemble à un abattoir sans avoir la garantie de pouvoir passer de l'autre côté. Tous ont leur laisser-passer du jour, mais les soldats peuvent décider de ne pas les laisser passer pour des motifs futiles ou sans raison. L'attente est inconfortable car vous ne pouvez pas quitter la file sous peine de perdre votre place. Pas possible d'aller aux toilettes, ni de faire demi-tour. Il y a un couloir pour entrer à Jérusalem et un pour sortir. Chacun a à peine la largeur de deux personnes côte-à-côte. Au bout du couloir, après une attente interminable, il faut franchir deux sas successifs. Dans chacun, une guérite où il faut montrer ses papiers et son laisser-passer, puis attendre le verdict de l'agent.

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Chaque jour, des Palestiniens sont refoulés. Leur employeur ne les verra pas et ils ne seront pas payés. Certains perdront même leur emploi ou leur droit d'accès à Jérusalem pour une période plus ou moins longue. Face à cette situation précaire et indigne, de courageux militants israéliens (homme et femme, jeunes et moins jeunes) ont décidé de se mobiliser. Ils viennent au checkpoint et s'assurent que les Palestiniens sont traités équitablement. Ils prennent des photos pour les relayer auprès de l'opinion publique dans l'espoir que celle-ci réagisse. Certains vont jusqu'à défendre verbalement les Palestiniens. En contrepartie, ils se font parfois insulter par les militaires, les colons ou les éléments extrémistes. Sacré courage et bel exemple de résistance.

 

Nous quittons ce sinistre endroit pour rejoindre le centre-ville de Bethléem et visiter la Chapelle de la grotte de Lait que nous avions manquée le 2ème jour. Nous découvrons à nouveau une autre facette de cette même ville si différente de celle que nous venons de quitter.

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Puis, nous reprenons le minibus en direction du camp de réfugiés de Dheisheh dans la périphérie. Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'expliquer, les camps de réfugiés palestiniens ne ressemblent pas à ce à quoi l'on pourraient s'attendre. Comme ils ont été créés il y a plusieurs décennies, les tentes ont laissé place à des constructions en dur. Il est donc difficile de prime abord de les dissocier du reste de la ville.

A l'entrée de celui-ci, se trouve le vestige d'une porte-tourniquet qui était auparavant l'un des seuls points d'accès au camp. Une clôture séparait ce dernier du reste de la ville. La clôture a aujourd'hui disparu, mais ce vestige a été conservé pour témoigner du passé. 

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Un imposant bâtiment des Nations Unies (donnant également sur la rue) se dresse aujourd'hui juste après l'entrée du camp, sur la droite. Un centre pédagogique, géré par les habitants du camp, y occupe un petit local au rez-de-chaussée. Nous y pénétrons pour écouter l'histoire du lieu et regarder les quelques photographies. On nous raconte également les conditions de vie de ses habitants, avant d'aller faire une visite pédagogique d'une durée de 20 minutes dans le camp.

J'apprends que les Palestiniens chassés des territoires conquis par Israël en 1948 et 1967 se sont réfugiés dans des camps comme celui-ci. Ces camps étaient surpeuplés et les conditions de vie très rudes. Les réfugiés recevaient à leur arrivée et après enregistrements, des cartes d'identification. Celles-ci leur donnaient par exemple droit à des rations pour survivre. Il faut préciser que le camp de Dheisheh était géré par l'ONU.

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Au fil du temps, les tentes ont cédé place à des constructions d'immeubles en briques. Chaque famille était logée dans un logement de 3m x 3m, quel que soit le nombre de ses membres. Il était interdit d'agrandir l'habitation, ou même de la modifier, si bien que les familles vivaient entassées. Les immeubles du camp sont très hauts. Il y faisait froid l'hiver.

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Le camp était donc entouré d'une barrière et de portes-tourniquets permettant de contrôler les mouvements de la population. Ces barrières ont été abattues. Les habitants peuvent donc entrer et sortir librement durant la journée, mais ils doivent rentrer dans le camp pour la nuit.

Face à ces conditions de vie difficiles et pénibles, des émeutes ou échauffourées éclataient et éclatent de temps en temps. L'armée réagit toujours très vite, avec les gros moyens et en montrant les muscles. Certains y ont laissé la vie, ce dont témoignent des peintures murales à l'entrée du site.

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D'autres au contraire privilégient l'art pour s'exprimer.

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La visite du camp de Dheishehb touche à sa fin mais notre journée n'est pas finie. Nous reprenons le minibus en direction de la vallée de Wadi Fukin. Le guide nous dit que nous y allons pour pique-niquer, mais il ne nous dit pas tout... Nous effectuons une brève halte en chemin, sur une colline en surplomb de la vallée. Droit devant, la route descend dans la vallée. De part et d'autre, deux collines sont hérissées d'ensemble immobiliers modernes et élégants. Deux colonies israéliennes en plein essor. Un troisième chantier est même en cours sur notre colline, un peu en contrebas, les deux colonies ayant vocation à se rejoindre pour n'en former plus qu'une.

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Vu d'ici, on dirait deux complexes touristiques gigantesques, avec tout le confort et toutes les commodités. La réalité est bien sûr différente... Ils sont d'ailleurs entourés de grillage pour protéger et interdire l'accès.

Nous remontons dans le minibus, rejoignons une piste en terre et traversons une belle vallée maraîchère. L'endroit est charmant, paisible et ressourçant. Bref, le lieu idéal pour prendre le déjeuner et décompresser un peu des images choc de ce matin (le checkpoint et le camp).

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Au bout de peu de temps, notre pique-nique arrive, puis un homme curieux qui nous pose des questions sur notre voyage et notre ressenti. Je suis d'abord un peu méfiant compte tenu de ce que nous avons vu. J'ai aussi besoin de recul et de temps pour cela. Puis, mes doutes se dissipe lorsqu'il s'assied avec nous et nous explique être diplomate palestinien auprès de l'Union Européenne. Quelle rencontre insolite dans cet endroit reculé et en même temps symbole du conflit en cour ! Même si je dute que cette rencontre soit totalement fortuite.

Le diplomate commence par nous parler de la vallée où nous nous trouvons. Ils parlent de sa beauté et de la douceur de vivre autrefois. Puis, il explique que les deux colonies que nous voyons ont rapidement grossi, que les colons extrémistes qui s'y sont installés viennent intimider et embêter les cultivateurs palestiniens. Quelques exemples visibles sur la photo ci-dessus :

- le réservoir d'eau douce que vous voyez au premier plan à gauche est destiné à arroser les cultures. Les colons viennent s'y baigner lorsqu'il fait chaud alors que cette ressource hydrique est extrêmement rare pour les Palestiniens. Plusieurs fois dans le passé, ils sont aussi venus la souiller pour la rendre impropre à la consommation. Un gaspillage inouï puisque cette eau sert à irriguer les cultures comestibles.

- si vous regardez attentivement la collline sur laquelle est installée la colonie, vous remarquerez sur la gauche une courte coulée verte où les végétaux ont poussé. Savez-vous de quoi il s'agit ? Des égoûts de la colonie qui se déversent dans la vallée pour contaminer les sols !!!

L'objectif de ces colons fanatiques est vraiment de faire fuir les occupants palestiniens historiques pour prendre leur place. Tout cela au 21ème siècle !

 

Le diplomate nous fait ensuite part de son analyse géopolitque sur la Palestine, Israël, sa mission auprès de l'UE, ... Il semble intarrissable sur tous ces sujets si bien que la discussion est passionnante. Orientée certes, mais passionnante. Et triste également car le diplomate lui-même semble assez pessimiste sur l'évolution du conflit et des Territoires Palestiniens. Cette rencontre vient clore en apothéose notre circuit.

Ce soir, nous dormirons au même hôtel de Bethléem que celui où nous avions passé la première nuit. Notre guide nous fera ses adieux car demain nous devons visiter la mythique Jérusalem. Or il n'a pas d'autorisation pour s'y rendre. Pire, il n'est pas le bienvenu et risque la prison s'il est arrêté. Nous aurons donc un nouveau guide abilité (un Palestinien vivant en Israël).

 

Je ne traiterai pas de la visite de Jérusalem dans cet article car ce n'est pas le sujet. Je dirai juste que Jérusalem est une ville multiculturelle fantastique avec son flot de pélerins des 3 grandes religions monothéistes venus du monde entier. Chaque site de la vieille ville et de ces environs évoque des épisodes de la Bible. L'ambiance de cette journée n'a donc plus rien à voir avec celle du reste du séjour. J'ai l'impression de faire un nouveau voyage.

Depuis mon retour, plusieurs épisodes ont de nouveau défrayé l'actualité des deux pays. Ces épisodes m'ont marqué par leur stupidité et l'aveuglement des autorités israéliennes en faveur d'une solution à un état - alors que la communauté internationale, moins les Etats-Unis, espère une solution à deux états voisins. Il me semble également que Jérusalem doit rester une ville-monde, propriété de tous, car sacrée pour 3 des principales religions de notre planète. Pour moi, Jérusalem n'a pas vocation à devenir la capitale autoproclamée (unilatéralement ou presque) d'un état qui prône ou encourage la violence dans ses agissements quotidiens avec ses "voisins". Mais après tout, qui suis-je pour me prononcer ?

Depuis mon retour, j'ai aussi continué de m'informer en lisant par exemple un superbe (mais révoltant) livre : "Un royaume d'olives et de cendres" compilé par Michaël Chabon et Ayelet Waldman. 24 écrivains du monde entier ont fait le déplacement en Israël-Palestine et chacun en est revenu avec un témoignage sur la vie des habitants. Chacun a rédigé un court récit avec sa propre sensibilité (artistique, littéraire, citoyenne, militante, sportive, ...).

 

Pour aller plus loin et confirmer ou non mes propos, je vous invite également à aller sur le site internet de "Breaking the Silence" qui recueille les témoignages de soldats israéliens ayant servi dans les Territoires Palestiniens.

Je vous invite aussi à vous renseigner sur les actions d'ONG fondées par des femmes et des hommes, Israéliens et/ou Palestiniens, qui souhaitent mettre un terme au conflit. Parmi elles : B'Tselem, Youth Against Settlement, Ta'ayush, Machsom Watch,... De belles initiatives de la part de citoyens qui refusent de se résigner face aux injustices et aux malheurs actuels dans les deux camps.

Et puis pour terminer, je vous invite à vous rendre sur le circuit d'Abraham, qui a été couronné du Grand Prix du Trek de l'année 2018 par le magazine Trek Magazine. Après tout, rien de mieux que d'aller voir de ses propres yeux non ?

20 janvier 2018

Tibet, une culture en péril ?

 

 

 

 

 

Localisation du Tibet

Le Tibet...

Pour certains, il est une simple région autonome. Pour d'autres, il demeure un vrai pays.

Pour certains, il est un territoire à développer et mettre en valeur, un territoire riche en ressources naturelles qu'il convient d'exploiter. Pour d'autres, il est une terre sacrée ou qui abrite des lieux hautement sacrés (tels que le mont Kailash ou le Potala), berceaux de leur foi. Il est aussi un territoire dont on tente d'éradiquer les modes de vie et traditions pluri-centenaires sous couvert de pieuses intentions (le développement).

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Pour certains, il est un territoire qu'il faut coloniser au nom du progrès et de la modernité. Pour d'autres, il est une terre riche d'une longue tradition et d'une culture singulière. Toutes deux sont aujourd'hui ébranlées, voire menacées alors qu'elles devraient être respectées et préservées en tant que partie du patrimoine culturel mondial.

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Pour certains (enfin), il est un territoire à fort potentiel touristique, pour ne pas dire un territoire folklorique. Pour d'autres, il est un territoire vivant, contraint de s'adapter à l'évolution de nos sociétés sans sacrifier sa propre identité.

Entre les deux parties, les positions semblent difficilement conciliables. Pourtant, le temps joue imperceptiblement en faveur des premiers...

 

Dans la suite de cet article, nous passerons en revue différents aspects relatifs au Tibet. L'objectif est d'alimenter votre réflexion et de vous laisser vous faire votre propre opinon. Bien entendu, je ne peux que vous inciter à consulter d'autres sources, pour juger de l'objectivité des informations mentionnées ici et pour accéder à des informations plus récentes.

 

1. Sur le plan historique...

Les relations entre la Chine et le Tibet sont très anciennes puisque le 1er contact avéré entre les deux pays remonterait à 608. A cette date, une mission diplomatique tibétaine fut envoyée à la cour impériale chinoise afin d'établir une relation directe entre les deux états voisins.

Quelques années plus tard (entre 629 et 649), le souverain Songtsen Gampo unifia le Tibet en un grand royaume et en fit une puissance régionale majeure qui alla jusqu'à menacer l'Inde du Nord et l'Empire du Milieu. Pour calmer ses ardeurs, le Népal et la Chine offrirent au roi la main des princesses Bhrikuti et Wencheng, connues pour avoir introduit le bouddhisme au Tibet. C'est aussi à cette période que remonte la découverte de l'astronomie et la médecine chinoises sur le haut plateau.

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Une seconde figure historique nationale surgit à partir de 755 : le roi Trisong Detsen. Ce monarque conquérant attaqua Xian, la capitale chinoise, en 763 et il imposa à la Chine un tribut annuel de 50 000 rouleaux de soie. Il étendit aussi l'emprise de son royaume sur les provinces actuelles du Xinjiang, du Gansu et du Sichuan.

En 822, la Chine et le Tibet signèrent un traité délimitant leurs frontières respectives (à l'avantage du second) et garantissant leur respect mutuel par les deux parties. Une stèle portant les termes de ce traité est encore visible aujourd'hui dans un enclos devant le Jokhang à Lhassa.

Comme bien souvent, l'accord ne fut pas respecté très longtemps si bien qu'en 907, au moment de la disparition de la dynastie Tang, la Chine avait déjà récupéré la quasi-totalité des territoires annexés par le Tibet. Les contacts se firent plutôt rares durant la dynastie suivante, période durant laquelle le bouddhisme s'enracina durablement, et la "doctrine" pacifiste avec lui.

Puis vint la grande époque des Mongols qui se taillèrent un empire considérable aussi bien vers l'Orient que l'Occident. Ils furent à l'origine de la dynastie Yuan en Chine (1271-1368) et envahirent également le Tibet. Ils confièrent l'administration de ce dernier à l'un des fondateurs de l'école Sakyapa, le lama Sakya Pandita, qui devint à la fois le chef du bouddhisme tibétain et celui du pays. Ce système de cumul des pouvoirs temporel et spirituel devint la norme par la suite.

Veuillez noter que c'est ce dernier évènement qui sert parfois d'argument à l'actuelle République Populaire de Chine pour revendiquer sa suzeraineté sur le Tibet : les conquérants mongols, devenus chinois par la fondation d'une nouvelle dynastie, auraient instauré la délégation des pouvoirs politique et religieux à un lama tibétain, tel un suzerain à l'égard de son vassal. Cet argument s'avère pourtant invalide puisque la soumission du Tibet aux Mongols survint avant leur conquête de la Chine. Par la suite, la désintégration de la dynastie mongole déboucha sur l'indépendance simultanée du Tibet et de la Chine.

Faisons à présent un grand saut dans le temps et occultons les périodes d'accalmie, puis de domination mandchoue et britannique durant lesquelles les relations entre nos deux pays redeviennent régulièrement tumultueuses (avec une succession d'invasions du Tibet puis de déclarations d'indépendance). Nous nous retrouvons en 1950, date à laquelle Mao Zedong a déjà installé son régime communiste en Chine.

Le 7 octobre 1950, 40 000 soldats attaquèrent par surprise le Tibet central sur six fronts. L'invasion ne put être stoppée compte tenu du déséquilibre des forces en présence et de l'effet de surprise. Le gouvernement de Lhassa réagit en intronisant le 14ème et actuel dalaï-lama, alors âgé de 15 ans. Celui-ci envoya une délégation à Pékin, qui se révèla malheureusement impuissante compte tenu des requêtes de leurs adversaires.

L'occupation chinoise fut au départ imperceptible, en dehors des 8 000 soldats stationnés dans la capitale. Puis la situation dégénéra et dériva vers des manifestations, des mesures de résistance, des soulèvements et des mouvements de guérillas. En guise de réponse, la Chine mit progressivement en place une sévère répression à compter du début de 1959 et ce malgré les efforts de conciliation persistant du dalaï-lama. Celui-ci fut d'ailleurs contraint de s'exiler en Inde déguisé en soldat. A la répression, fut associée la politique du Grand Bond en Avant qui s'est révélée désastreuse pour les deux pays (35 millions de victimes à cause de la famine), puis celle de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne en 1966. Le résultat ne fut guère meilleur.

Au final, la Chine revendique sa souveraineté sur le Tibet. Mais celle-ci est-elle légitime d'un point de vue historique ? Le Tibet n'a-t-il pas lui aussi dans ce cas une légitimité pour exercer sa souveraineté sur une partie du territoire chinois ? Et pour aller plus loin, pourquoi les Mongols qui ont envahi l'Empire du Milieu entre 1211 et 1279 et lui ont donné une dynastie, ne sont-ils pas légitimes pour gouverner la Chine ? Tout est une question de point de vue finalement non ?

 

2. Sur le plan géographique...

Le Tibet constitue un espace clairement délimité, pour ne pas dire singulier ou à part. Ses caractéristiques naturelles en apportent la preuve.

Le pays est d'abord régulièrement qualifié de "toit du monde". Cette appellation ne semble pas usurpée quand on sait que son altitude moyenne avoisinne 4 000 mètres, que plusieurs endroits du territoire dépassent allègrement les 5 000 mètres d'altitude, et que 4 des 10 plus hauts sommets du monde se trouvent sur sa frontière sud. Parmi eux, l'incontournable Everest ou Chomolangma en tibétain (8 848m).

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Le Tibet est également souvent désigné par l'appellation "plateau tibétain". Il est en effet plus ou moins encadré de hautes montagnes :

  • la chaîne himalayenne au Sud, longue de plus de 2 500 kilomètres,
  • la chaîne du Karakorum à l'Ouest,
  • les chaînes moins connues du Kunlun et de l'Altyn-tagh au Nord,

La limite orientale (Est) constitue la seule exception puisque c'est la situation inverse que l'on y rencontre : le plateau tibétain "plonge" assez brutalement vers la plaine du Sichuan, après une succession de contreforts aux dénivelés importants.

Toutes ces caractéristiques géologiques contribuent à faire du Tibet un territoire aride, un désert de haute altitude, de prime abord assez inhospitalier, la mousson indienne se révèlant globalement incapable de franchir la barrière himalayenne. Il en résulte des paysages parfois très minéraux, voire des cordons de dunes.

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Il ne faut pas pour autant imaginer un territoire totalement sec, désolé, aride. Le Tibet possède par exemple un grand nombre de glaciers même si ceux-ci tendent à reculer sous l'effet du changement climatique.

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Le massif du Kailash à l'Ouest du pays abrite en outre la source de trois des plus grands fleuves du sous-continent indien : le Sutlej, l'Indus et le Brahmapoutre. Ce dernier traverse une bonne partie du territoire tibétain le long de la crête nord de l'Himalaya avant de rejoindre l'Inde. Il irrigue ainsi de vastes zones cultivées (dont l'orge est un symbole fort). Un autre fleuve mythique nait sur le haut plateau avant de traverser six pays : le Mékong. Et ce ne sont que quelques exemples parmi les plus prestigieux.

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L'eau constitue un enjeu géopolitique majeur pour les prochaines décennies. La Chine a misé sur les barrages pour stocker l'or bleu et produire de l'hydroélectricité. Ce faisant, elle menace plus ou moins directement l'approvisionnement des pays situés en aval et réduit l'apport des fleuves en alluvions fertiles. Ce problème n'est pas spécifique à la Chine.

Le Tibet est enfin extrêmement riche en ressources naturelles avec ses gisements d'or, d'argent, d'uranium, de cuivre ou de lithium pour ne citer que les minerais les plus connus. Sans parler des réserves de gaz et de pétrole, du vent ou de l'ensoleillement (le plus fort et le plus régulier après le Sahara). Autant de ressources suscitant l'appétit des Chinois qui y voient d'importantes sources de profits.

 

3. Sur le plan économique...

Le Tibet constitue un "nouvel" eldorado pour la Chine qui y a déjà investi des milliards.

Nous avons déjà évoqué dans le paragraphe précédent  les enjeux autour des ressources naturelles. Ces dernières sont de formidables opportunités pour répondre à moindres coûts aux immenses besoins du marché intérieur. Elles accroissent aussi l'indépendance de la Chine à l'égard des autres pays puisque qu'elle peut trouver toutes une série de matières premières directement sur son sol au lieu de les importer à un prix qu'elle ne maîtrise pas. Bien sûr, le creusement de nombreuses mines et forages défigurent inlassablement l'environnement et engendre une pollution plus ou moins durable, mais n'est-ce pas le prix à payer pour le développement ? Pourquoi la Chine devrait-elle se priver quand d'autres pays ont emprunté ou empruntent aujourd'hui encore cette même voie ? Surtout qu'elle développe en parallèle des filières plus éco-responsables...

Au Tibet, l'eau, le soleil et le vent constituent des sources d'énergie immédiatement disponibles, quasi-inépuisables et non polluantes (en plus d'être gratuites). La Chine l'a bien compris en misant à fond la carte des énergies renouvelables et du développement durable. Nous avons déjà parlé précédemment des barrages hydroélectriques, mais les panneaux solaires ne sont pas en reste. Durant mes déplacements dans la province d'Ütsang par exemple, j'ai pu constater que des villages isolés au fin fond de hautes vallées étaient équipés de réverbères photovoltaïques. Et on peut supposer que les éoliennes sont elles-aussi nombreuses, ou le seront prochainement. Ce faisant la Chine renforce son expertise et son leadership sur ces secteurs d'avenir, pendant que l'Europe tergiverse (et manque le coche ?).

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De même, lorsque je me suis promené dans Lhassa, le nombre de scooters électriques et de vélos en libre-service en circulation m'a impressionné. Parfaitement silencieux, ils semblent constituer une réponse efficace contre la pollution de l'air dont souffre les grandes agglomérations, Beijing comprise. Les voitures électriques sont moins répandues mais le pouvoir d'achat au Tibet l'explique facilement. Là encore, la Chine acquiert de sérieuses compétences et réduits ses coûts de fabrication avant de passer à la phase d'exportation. C'est ainsi qu'elle va lancer dès 2018 en France des systèmes chinois de vélos libre-service pour bousculer les acteurs déjà en place.

Parmi les autres bénéfices à mettre sur le compte de la Chine, il faut aussi évoquer les infrastructures de transports. Malgré les conditions climatiques exigeantes du haut-plateau, le Tibet possède aujourd'hui un réseau routier d'assez bonne qualité entre ses grands centres urbains. Le reste du réseau se développe peu à peu, réduisant significativement les temps de parcours. Le creusement de tunnels et la construction de ponts permettent de rapprocher les localités en évitant de longs détours ou de hauts sommets (parfois enneigés). Les routes partent aussi à l'assaut de hauts cols pour accéder facilement à des régions jusque là enclavées. Les voyages deviennent au fil des ans de simples trajets assurés par des lignes de bus régulières.

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Le réseau ferroviaire suit le même mouvement bien qu'il soit moins dense. Il s'étend lentement vers les "frontières" du Tibet, vers le Népal ou l'Est par exemple. Et comment ne pas évoquer ici la plus haute ligne du monde qui relie Beijing et Lhassa tous les jours de l'année ? Il s'agit d'un chef d'oeuvre d'ingénierie, la moitié de la voie étant construite sur du permafrost et son point culminant atteignant 5 072m d'altitude. Grâce à cette ligne, des milliers de passagers et de marchandises débarquent quotidiennement à Lhassa, pour le meilleur et pour le pire. Côté pile, les coûts de transports des produits importés a considérablement baissé. Côté face, nous y reviendrons dans le prochain paragraphe...

 

Enfin, les autorités chinoise financent et favorisent l'expansion des villes afin d'accueillir toujours plus de migrants intérieurs. Le secteur du bâtiment et de la construction est ainsi très dynamique. Des lotissements modernes, des supermarchés, des hôtels, des restaurants, des infrastructures publiques ... sortent de terre un peu partout. Ici ou là, on rénove aussi des monastères dans le souci de développer encore davantage le flux touristique. La physionomie des villes et du pays se trouve métamorphosée.

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Au final, il est incontestable que, sur le plan économique, la Chine a permis au Tibet d'atteindre un niveau de développement et une qualité de vie qu'il n'aurait pu espérer atteindre aussi vite sans elle. Mais les boulversements ont été extrêmement rapides et profonds boulversant les habitants et leurs modes de vie traditionnels. Le prix à payer en valait-il le coup ? De toute façon, le Tibet n'a pas eu son mot à dire...

 

4. Sur le plan culturel...

Le développement économique, l'immigration intérieure (Chine > Tibet), l'amélioration du niveau de vie ont bouleversé en profondeur les structures et modes de vie traditionnels, si bien que la culture tibétaine semble parfois en danger. La Chine importe de force son modèle sans aucune considération pour la culture préexistante.

Reprenons l'exemple du train Beijing - Lhassa qui déverse chaque jour ses milliers de passagers et de marchandises. Une partie de ces passagers sont des touristes au sens large (de loisirs ou d'affaires), l'autre partie des "colons" Hans qui viennent s'installer durablement. La population Han croit ainsi inexorablement tandis que les Tibétains deviennent une minorité sur leurs propres terres. Aucun chiffre officiel n'est disponible pour masquer l'ampleur du phénomène, mais il suffit de se promener dans Lhassa pour voir à quel point la ville tibétaine est cernée par les vastes banlieues chinoises. La ville aurait doublé de superficie au cours des vingt dernières années et le quartier tibétain ne constituerait plus que 4% de la cité d'après le guide Lonely Planet. Idem à Shigatse, la deuxième ville du pays, et dans les villes de moindre importance.

Les marchandises "chinoises" débarquent elles aussi en force et à petits prix. Elles inondent les marchés et échoppes faisant concurrence aux produits locaux traditionnels, quand elles ne les ringardisent pas tout simplement. Elles poussent également à la consommation des personnes qui n'y étaient pas habituées. Les objets chinois ont ainsi envahi le quotidien des ménages tibétains et modifié durablement leurs modes de vie. L'introduction d'infrastructures comme les supermarchés ou les karaokés ont eu le même effet. Tous exercent un fort pouvoir d'attraction et de fascination sur les jeunes générations plus perméables. C'est le progrès me direz-vous et cela est aussi arrivé en Occident au XXème siècle. Certes, mais le contexte est loin d'être le même.

 

Cette politique de sinisation accélérée n'est cependant pas nouvelle. Il y a quelques décennies déjà, les catastrophiques politiques du "Grand Bond en avant" et de la "Grande Révolution Culturelle Prolétarienne" ont été imposées par la force, comme dans le reste du territoire chinois. Ces deux révolutions ont sévèrement ébranlé les deux pays et leurs habitants.

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La première politique ambitionnait par exemple de modifier les pratiques agricoles tibétaines en substituant du riz et du blé à l'orge. Une réforme vouée à l'échec compte tenu de l'altitude du Tibet... La deuxième politique organisait la collectivisation des terres autour de communes populaires. Arrestations et séances d'autocritiques devaient se charger de convaincre les récalcitrants. Nous connaissons avec le recul l'inefficacité de telles mesures. A moins qu'il ne s'agissait de déstabiliser et déstructurer les populations rurales largement majoritaires, ou les habitudes alimentaires de l'ensemble des Tibétains (pour qui l'orge est un ingrédient de base du repas) ? Le bilan humain a en tout cas été très lourd avec une famine qui a frappé les deux pays.

La Révolution Culturelle souhaitait surtout abolir les anciennes coutumes et traditions, les cultures singulières au profit d'une vaste uniformisation. Au Tibet, elle s'inscrivait dans la continuité des politiques répressives menées régulièrement depuis l'invasion du territoire en 1950. La sphère religieuse, colonne vertébrale de la nation tibétaine, était particulièrement visée avec une volonté d'éradication. Les lamas ont ainsi été poursuivis, humiliés, persécutés pour les contraindre à quitter la robe. Les monastères ont été pillés puis détruits méthodiquement. Les croyants étaient forcés de dénigrer le dalaï-lama publiquement, ... Le coup a été violent, mais le peuple a fait preuve d'une incroyable force de caractère en perpétuant ce qu'il pouvait, en limitant au maximum les pertes. Force est de constater que cela a plutôt réussi jusqu'à aujourd'hui. Mais que se passera-t-il après le décès de l'actuel dalaï-lama ?

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Ces attaques contre la culture tibétaine se poursuivent encore de nos jours de manière bien plus discrète. Le mandarin est par exemple la langue officielle et est la seule parlée dans les études supérieures. Pour les citadins, ne pas la parler revient à être pénalisé, handicapé dans la vie de tous les jours. L'écriture et la langue tibétaines perdent donc imperceptiblement du terrain dans la sphère publique. Mais également dans la sphère privée où la télévision diffuse un flux de contenus, de schémas de pensées et de représentations "made in China". La conquête des esprits est en cours, ciblant une nouvelle fois les jeunes générations qui n'auront finalement connu que la situation actuelle. 

 

5. Sur le plan humain...

Les Tibétains sont sans doute l'un des peuples "autochtones" les plus connus en raison de leur histoire, de leur culture foisonnante et de leur religion originale. Pourtant ce peuple est aujourd'hui fragmenté entre ceux qui sont restés sur leur terre ancestrale et ceux qui vivent en exil à Dharamsala en Inde ou ailleurs. Entre les deux, la fissure grandit : les uns sont confrontés à la culture dominante, écrasante de la puissance "occupante", les autres tentent de préserver leur culture ancestrale en étant immergé dans un autre contexte culturel que le leur (celui de leur pays hôte). Dans les deux cas, les frontières entre les cultures s'estompent au fil du temps et un phénomène d'interpénétration se met en route. Et les différences entre les deux communautés s'accroissent imperceptiblement...

Inutile de dire que la situation n'est facile pour personne. Pire, certaines familles sont aujourd'hui séparées par des frontières physiques infranchissables. Se reverront-elles un jour ? Difficile de l'envisager pour le moment sachant que même les communications via internet ou les réseaux sociaux sont étroitement surveillées par les autorités (quant elles ne sont pas bloquées). Lors de mon séjour sur place, l'accès à des sites comme Google ou Facebook étaient par exemple impossibles sans le recours à un VPN.

 

Bref, après avoir longuement parlé des Tibétains "de l'intérieur", je souhaitais conclure cet article en évoquant brièvement la situation des réfugiés tibétains en Inde. Mais je souhaitais aborder ce sujet à travers un exemple précis, concret : le village d'enfants de Choglamsar au Ladakh (Inde du Nord) découvert à l'occasion d'un précédent voyage.

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Il s'agit d'un village inauguré en 1976 par l'ONG SOS Children's Villages. Il accueille aujourd'hui près de 2 200 enfants, en majorité des fils et filles de réfugiés tibétains, et leur offre un accès à l'éducation.  Ces enfants ne sont généralement pas orphelins. Leurs parents vivent souvent loin dans les montagnes du Ladakh où ils soignent et s'occupent de leur troupeau ou font du petit commerce pour survivre. Il faut dire que les opportunités sont plutôt réduites en Inde pour les réfugiés et les obstacles nombreux (aussi accueillant soit le pays hôte) Ils n'ont donc pas vraiment la possibilité de s'occuper de leurs enfants et de les envoyer à une école qui plus est souvent éloignée. Le village SOS y pallie et tous peuvent se retrouver aux grandes vacances, c'est-à-dire une fois par an. C'est dur pour des enfants en bas âge, mais c'est leur vie de réfugiés et la seule solution face au dénuement de leurs parents.

Le village de Choglamsar accueille les enfants dans 28 maisons familiales. Ils y vivent en groupe relativement réduit sous la responsabilité et la bienveillance d'une "famille SOS". L'objectif étant de recréer un semblant de cocon familial, les fratries vivent ensemble et ne sont pas séparées. De même, chacun a un (tout) petit espace personnel. 

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La scolarité est assurée par le complexe scolaire du site. Des professeurs tibétains y donnent des cours dans des salles plutôt propres et équipées grâce aux soutiens financiers des donateurs de l'ONG et au système D. Une partie de l'enseignement est consacrée aux fondamentaux tibétains, la langue et l'écriture, afin de préserver et perpétuer leur culture ancestrale. Le village compte enfin un dispensaire et un cabinet dentaire.

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Ce beau projet, qui nous sommes d'accord ne devrait pas exister, constitue une belle lueur d'espoir dans un horizon plutôt sombre. Mais comme le disait Mère Teresa : "Nous réalisons que ce que nous accomplissons n'est qu'une goutte d'eau dans l'océan. Mais si cette goutte n'existait pas dans l'océan, elle manquerait".

Pour en savoir plus sur l'ONG SOS Villages d'Enfants et le village de Choglamsar : https://www.sosve.org/nos-actions/les-villages-d-enfants-sos/village-de-choglamsar/

12 novembre 2017

Into the Wild

"Into the Wild"... Ces 3 mots évoqueront sans doute chez vous le film de Sean Penn sorti en salles en 2007. Pour les plus "érudits", ils évoqueront aussi et surtout le livre de Jon Krakauer dont le film s'est inspiré.

Tous deux relatent l'histoire tragique du jeune Christopher McCandless qui, après deux années d'errance sur les routes du Sud et de l'Ouest américain, s'est aventuré au coeur de l'Alaska pour approfondir sa quête initiatique. Il y a trouvé refuge dans un bus abandonné - dont une réplique est exposée dans un restaurant du village de Healy - et a commencé à y mener une vie rude mais gratifiante en totale autarcie. Malheureusement pour lui, une succession d'évènements malencontreux est venue bouleverser ses plans... 

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Pourquoi faire allusion ici à cette histoire véridique ? Parce qu'elle s'est déroulée dans le Parc National de Denali auquel je souhaitais consacrer cet article. C'est là-bas que je l'ai vraiment re-découverte dans toute son intensité.

Mais revenons-en à notre sujet : le Parc National de Denali ou "Denali National Park and Preserve" selon la dénomination officielle.

Parc National de Denali

Ce parc national s'étend sur une superficie de près de 25 000 km² au coeur de l'Alaska (USA). Il abrite une riche faune sauvage, parmi laquelle les incontournables grizzlys, caribous, élans ou castors. Son territoire accueille en outre le plus haut sommet de l'Amérique du Nord, le mont Denali (ex-mont McKinley), qui culmine à 6 194m d'altitude.

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Si j'ajoute à cela que le parc est facilement accessible par la route depuis Anchorage ou Fairbanks, et qu'il possède des infrastructures garantissant un haut niveau de confort, vous comprendrez tout de suite pourquoi il est l'un des sites les plus touristiques de l'état.

 

Dès votre arrivée, vous vous rendrez rapidement compte que ce parc national fait l'objet d'une gestion exemplaire :

  • La grande majorité des facilités (hôtels, restaurants, campings, bar, activités de loisirs) est reléguée à l'extérieur du parc national. Celles situées à l'intérieur sont peu nombreuses et cherchent à réduire au maximum leur empreinte sur l'environnement. Des contraintes spécifiques s'y rattachent par conséquent.

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  • Le parc lui-même n'est accessible que par une unique route qui dessert quelques bâtiments en bois, dont l'incontournable Visitor Center. C'est le point névralgique pour organiser votre séjour sur place, mais aussi celui où vous serez contraint de faire halte. Il faut en effet avoir à l'esprit que la plus grande partie du parc n'est accessible que pour les autobus officiel du parc national. La circulation des autres véhicules à moteur y est en principe interdite. A vous donc de vous organisez si jamais vous souhaitez camper de l'autre côté du parc.

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  • Des parkings, une gare routière, un bureau de poste, un petit musée ont été aménagés au coeur de la forêt aux environs du Visitor Center. Tous sont ainsi accessibles à pied grâce à des itinéraires balisés. D'autres itinéraires de randonnées ont également été aménagés en divers endroits du parc. Leurs sentiers sont très bien entretenus et balisés (fléchage et indications sur le kilométrage et les temps de parcours). Le seul risque est que vous pouvez vous retrouver à tout moment nez-à-nez avec un écureuil, un élan ou ... un grizzly. J'ai par exemple eu l'occasion d'observer deux élans sur le parking du Visitor Center quand des connaissances ont rencontré quatre individus lors d'une randonnée autour d'un lac. N'oubliez pas que ce sont des animaux sauvages, pas des peluches.

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Pour y avoir passé deux bonnes journées et demie, le Parc National de Denali est un lieu idéal pour s'immerger en pleine nature. Une dizaine de petites randonnées (pour tous les niveaux) vous sont proposées au départ du Visitor Center. Elles sont l'occasion de traverser différents types de paysages :

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Côté excursions payantes, vous avez le choix entre des trajets "utilitaires" (pour rejoindre votre camping/hôtel ou un point de départ de randonnée par exemple), des circuits courts (environ la demie-journée) ou longs (toute la journée). Ces deux derniers vous permettent de vous enfoncer plus ou moins profondément à l'intérieur du Parc National à la découverte de la faune locale. Il y a de fortes chances que vous puissiez alors observer tranquillement les grands mammifères, ours compris :

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Tout dépend néanmoins de l'état d'esprit de votre chauffeur, certains ne jouant pas vraiment le jeu et faisant le service minimum. Je dois ajouter que les bus ne sont pas forcément très confortables et il se peut que vous ayez froid ou chaud selon le moment de la journée, ou que vous soyez secoué sur les pistes de terre battue. Prévoyez vos affaires en conséquence : vêtements chauds pour le matin, gourde, casquette ou chapeau, lunettes de soleil, crème solaire et pique-nique pour la journée.

Outre les animaux, les paysages sont réellement impressionnants et changent de couleurs au fil de la journée. Le mont Denali vient sublimer le tout avec ses neiges éternelles qui émergent progressivement au milieu des collines.

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C'est un spectacle à ne manquer sous aucun prétexte. Surtout que certains arrêts sont programmés tout au long du parcours afin de prendre des photos panoramiques, se ravitailler ou faire une pause toilettes dans des zones aménagées.

De retour de votre excursion, je vous encourage vivement d'aller faire un tour au village d'Healy qui se trouve à quelques kilomètres de l'entrée du parc. Vous pourrez y découvrir la réplique du bus dont je parlais au début de cet article et surtout le seul grizzly mécanique au monde pour un rodéo d'anthologie :

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Pour terminer vos journées en apothéose, je vous encourage fortement à opter pour l'option camping et à veiller jusqu'à minuit autour d'un feu de camp (malgré le froid) pour assister à un des spectacles les plus fascinants de notre planète : les aurores boréales (northern lights en anglais). Leurs couleurs (vertes, rouges, jaunes) et leurs danses plus ou moins rapides sont captivantes.

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Dur, dur d'aller se coucher après cela.

5 juin 2017

L'ermitage au-dessus des flots

San Juan de Gaztelugatxe

Au nord du Pays-Basque espagnol, sur la côte atlantique, à quelques kilomètres de Bermeo, se dresse un promontoire rocheux au milieu des flots. Le site est splendide et pourtant encore largement méconnu du grand public. Son nom ? San Juan de Gaztelugatxe.

Il est vrai qu'avec un nom aussi compliqué à retenir, ce n'est pas évident de faire de la pub, ni avant de partir, ni au retour. Combien d'entre nous vont raconter à leurs proches ou leurs collègues avoir visiter le site en citant correctement son nom ? Et ensuite, combien de personnes dans l'auditoire vont retenir précisément ce nom ? Enfin combien vont en reparler toujours sans se tromper ? Bref, on n'est sans doute pas près d'atteindre la notoriété du Mont-Saint-Michel.

2ème raison de cet anonymat : lorsque vous circulez sur la route entre Bermeo et Bakio, rien ne laisse deviner la beauté du site. Votre véhicule roule au sommet de hautes falaises et seuls les panneaux routiers vous indiquent le site. Encore faut-il en avoir entendu parler auparavant pour avoir envie de s'arrêter. Sinon pourquoi là plutôt qu'ailleurs ?

Dernier obstacle à la renommée qu'il mérite, le site n'est accessible qu'à pied. Et si vous vous faites une entorse, soyez prêt(e) à vous débrouiller pour remonter ... Mais ne soyons pas pessimiste. En réalité, vous avez deux choix :

- rejoindre un promontoire avec point de vue par un sentier goudronné depuis les parking (plutôt facile)

- descendre jusqu'au site en bifurquant à mi-chemin sur un sentier en terre battue (plus compliqué, mais largement faisable par toute personne en bonne condition physique) ... à moins de faire un détour d'environ 3 kilomètres à pied par l'ancienne route pour rejoindre le site (un peu) plus facilement. Dans tous les cas, oubliez les sandales, tongs, crocs, talons aiguilles et autres... Et pour les personnes à mobilité réduite, rien n'est malheureusement prévu pour le moment à ma connaissance.

Bref, si vous optez pour la 2ème solution, vous en aurez pour environ 1km de marche dont une bonne portion en descente. Sur les 250 derniers mètres, vous rejoignez l'ancienne route et débouchez sur ça :

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Vos efforts sont récompensés non ?

Au sommet du promontoire se trouve un ermitage maint fois détruit et reconstruit dans le passé. L'édifice d'origine daterait du IXème siècle tandis qu'en 1596, le site fut une nouvelle fois attaqué par les corsaires de Sir Francis Drake. Le nom de l'Inquisition espagnole est aussi évoqué dans les environs.

L'ermitage est accessible par un pont de pierre, puis un escalier de 231 marches aménagé dans la roche. Pas de vertige à craindre, le chemin est large et bordé de murets. Au sommet, l'ermitage dédié à Saint Jean-Baptiste sera vraisemblablement fermé, mais vous pourrez quand même admirez une vue panoramique à 360°.

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Et puis, vous pourrez aller sonner la cloche 3 fois comme le veut la coutume, avant de redescendre. N'oubliez pas qu'il reste la remontée jusqu'au parking à accomplir !

Pour être complet, il me reste à vous dire que le nom San Juan de Gaztelugatxe signifierait "château-rocher" en basque. Bonne visite !

 

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10 mai 2016

Immersion au sein d'une communauté zapotèque

Localisation de la mission

Samedi 9 avril 2016, 20h, aéroport de Paris Charles de Gaulle : une nouvelle aventure commence, une expérience différente de tout ce que j'ai pu vivre jusqu'ici en tant que voyageur. Il y a quelques mois, j'ai en effet souscrit auprès de l'agence Humantrip une formule de voyage originale : un séjour solidaire et en immersion au sein d'une communauté villageoise de l’état de Oaxaca au Mexique. Ce soir, c’est (enfin) le début de l’aventure.

Le principe de ce voyage est simple : je pars rejoindre un centre d'accueil pour personnes défavorisées dans un village zapotèque et y séjournerai pendant 15 jours. Ma "mission" : apporter mon aide là où elle peut s'avérer nécessaire et partager avec les personnes rencontrées. Pas besoin de compétences spécifiques, il suffit de parler et comprendre un minimum l'espagnol. Pas de crainte de voyeurisme, de gêne ou de mal-être à éprouver non plus à l'égard des membres de la communauté locale : ses membres seront ravis de dialoguer avec vous sur leur pays, leur quotidien ou l’actualité. Ils feront aussi preuve d'une grande curiosité à votre égard : d'où êtes-vous ? pourquoi être venu de si loin ? pourquoi être venu en avion et pas en voiture ? est-ce que c'est comme ça aussi en France ? ... Bref, la rencontre et l’échange sont au cœur de cette formule.

Vue sur le centre d'accueil du Padre Alberto

Le foyer que je rejoins a été fondé par le charismatique et très dévoué Padre Alberto. Il accueille une quarantaine de personnes, principalement des personnes âgées et de jeunes actifs (16-23 ans), en plus de quelques employées. Tous ont en commun d'avoir été confrontés à d'importantes difficultés à un moment de leur vie, et/ou de ne pas pouvoir subvenir à leurs besoins primaires. Mais cela, vous l'oublierez très vite devant leur accueil chaleureux, leur bonne humeur, la simplicité des échanges et leur curiosité insatiable. Ces qualités, vous les observerez aussi chez les villageois des alentours au fil des jours passés sur place.

Lors de mon séjour, j'ai avant tout donné un coup de main pour accomplir les tâches du quotidien nécessaires au fonctionnement du centre (nettoyage, vaisselle, courses, rangement de l'infirmerie, ...). J'ai surtout passé du temps à échanger avec la plupart des résidents. Prendre le temps de les écouter, d'échanger avec eux ou simplement d'être présent à leur côté est sans doute le domaine où vous serez le plus utile. Et cela vous permettra d'apprendre plein de choses sur la vie locale et le pays dans son ensemble.

Pas de programme prédéfini donc, c'est à vous de vous porter volontaire, d'aller discuter avec chacun, de vous joindre à certaines activités, voire d'en proposer certaines. J'ai par exemple proposé de préparer un gâteau pour le dernier repas et de le partager ensuite avec tous les pensionnaires en guise d'au revoir. Quoi de mieux que ces belles rencontres pour découvrir la vraie vie d’un village du Sud du Mexique ?

 

Il me semble important de ne pas trop en dire ici pour laisser le plaisir de la découverte. Sachez cependant que ce séjour se déroule dans de très bonnes conditions :

L'hébergement

Humantrip propose de dormir dans un hôtel situé à un kilomètre maximum du centre d'accueil. Vous pouvez rallier l'un ou l'autre à pied ou en mototaxi pour la somme dérisoire de 5 pesos (environ 0,25 euro).

L'hôtel est le plus confortable des alentours et propose des conditions similaires à celles d'un hôtel européen standard. Votre chambre, entièrement carrelée, comporte toutes les commodités nécessaires : un lit double, un dressing, une salle de bain avec l’eau courante (chaude et froide), une télévision écran-plat, un canapé et un bureau. Tout est très propre, les chambres comme les parties communes. Le ménage sera même fait quotidiennement dans votre chambre. Dans ces conditions, vos chances de vous retrouver nez à nez avec une petite bêbête rampante sont très faibles.

Sachez enfin que l’hôtel est ouvert 24h/24, qu’il dispose du wifi, … et même d’une piscine !

 

Le centre d’accueil

Lui aussi est très propre et très confortable grâce aux efforts déployés par le Padre Alberto et par les employés du centre. Tous veillent et œuvrent au quotidien à son entretien. Le bâtiment témoigne ainsi de l’engagement total du Padre pour cette localité et de la solidarité des villageois en guise de remerciement.

La véranda à l'entrée du centre d'accueil du Padre Alberto

 

Le hall d'entrée du centre d'accueil avec une chambre et l'infirmerie    Un patio ombragé à l'intérieur du centre d'accueil

La moitié des résidents, principalement des personnes âgées, restent ici toute la journée. Les jeunes rentrent de l’école vers 15h ou du travail en début de soirée. Cette cohabitation est insolite pour nous européens et vaut la peine d’être vécue.

Le rythme quotidien au centre est très différent du nôtre. Le petit déjeuner est ainsi servi à 9h, le déjeuner vers 14h30-15h, et le dîner à 21h (mais peut-être avancé pour les visiteurs). La cuisine est authentique, simple, mais équilibrée. Elle est à base de légumes, de féculents, de viandes et de fruits. Maïs et fèves sont récurrents dans les plats, ce qui n’empêche pas une grande variété de préparations. Sans doute aurez-vous l’occasion de goûter à quelques spécialités, telles l’atole, la tortilla ou le nopal. Enfin, libre à vous d’aller manger à l’extérieur si vous le souhaitez, mais à vos frais. Et n’oubliez pas de prévenir le personnel pour qu’il ne prépare pas un repas inutile.

 

L’emploi du temps

A la différence d’un voyage organisé classique, vous n’aurez pas de programme prédéfini une fois sur place. A vous de proposer votre aide, d’aller échanger avec les différents pensionnaires, de vous porter « volontaire » pour accompagner certains employés du centre. Vous pouvez aussi prévoir des excursions dans les environs : Oaxaca, la capitale provinciale classée au Patrimoine mondial de l’Unesco, les sites archéologiques de Monte Albán, Mitla ou Yagul, l’arbre millénaire de Santa María del Tule, les villages d’artisans, … Coordonnez-vous simplement avec le Padre et ses assistantes pour qu’ils soient informés de votre absence.

Le site archéologique de Monte Albán

Marché quotidien à Ocotlán de Morelos    Le centre du village de San Antonino derrière le marché

Dans mon cas, les jeunes, à l’initiative du Padre, m’ont régulièrement proposé des sorties pour découvrir leur village, leur vie quotidienne ou me raccompagner à l’hôtel. A l’inverse, j’ai organisé une session pâtisserie le dernier jour pour remercier mes hôtes. Ne soyez pas trop ambitieux, mais vous pouvez proposer de petites activités qui changeront le quotidien des pensionnaires.

 

Inutile de vous en dire davantage car il vaut mieux vous laisser découvrir par vous-même.

Sachez simplement que cette rencontre vous marquera à coup sûr. Sachez aussi que la communauté vous attend et que votre aide sera précieuse. A bon entendeur,…

 

Pour en savoir plus :

http://www.humantrip.fr/destinations/mexique/partagez-la-vie-devouee-du-padre-alberto

6 avril 2016

Au pied de l'Everest (8ème partie) : grandeurs et décadences

Vendredi 29 avril : Gorakshep (5 160m) - Kala Pattar (5 550m) - Dingboche (4 400m)

La journée commence très tôt avec un réveil à 4h du matin et un départ prévu à 4h30. Le lever n'est pas un problème, même si j'aurais bien dormi un peu plus. Le vrai problème, la vraie épreuve, c'est de sortir de son sac de couchage et de s'habiller compte tenu du froid vif qui règne dans le dortoir. Il y fait probablement autour de 0°, en partie à cause de la vitre cassée qui jouxte mon lit et donne sur le couloir. Je dois donc m'extirper de mon chaud duvet pour enfiler des vêtements glacés, car restés à l'air libre ou dans le sac de voyage. Je ne m'y suis toujours pas habitué.

Dehors, il fait bien entendu un peu plus froid. Il fait aussi nuit noire et les étoiles brillent dans le ciel. Je suis malgré tout motivé et enthousiaste car, pour mon premier trek, j'entame mon 2ème jour d'affilée à plus de 5 000m et je me prépare à gravir mon 3ème sommet au-delà de cette altitude (le 4ème si on rajoute la rando d'hier à l'Everest Base Camp - qui n'est pas un sommet). Et mon corps tient bon. La spécificité d'aujourd'hui, c'est que, si je parviens au sommet du Kala Pattar, j'aurais à nouveau dépassé mon record d'altitude alors que je vis habituellement dans le bassin parisien et n'ai pas eu d'entrainement en montagne avant de partir. Le corps humain est décidément impressionnant !

30 minutes pour se préparer, c'est aussi le temps nécessaire pour manger un petit peu et boire une boisson chaude. Énergie et chaleur, deux clés pour mieux affronter le froid matinal et le défi qui nous attend.

Après les derniers préparatifs et réglages du matériel, nous nous mettons en marche. Nous ne sommes pas seuls. D'autres groupes de trekkeurs nous ont précédé et forment des colonnes de lucioles dans la nuit (avec leurs lampes frontales). Ces colonnes zigzaguent au fur et à mesure que le sentier s'élève. C'est une scène très poétique ... et captivante. En effet, des gens du monde entier profitent de leurs vacances pour venir ici, au coeur de l'Himalaya. Ils marchent durant plusieurs jours, dorment dans des lodges plus ou moins confortables, pour affluer sur cette montagne. Et ils n'hésitent pas à se lever aux aurores pour en faire l'ascension. Curieux quand on y pense non ?

 

Le sentier est bien tracé. Nous gravissons la pente sud du Kala Pattar derrière Dorje, notre guide. Nous sommes six à le suivre, plus Pasang qui ferme la marche. Dorje impulse le rythme, lent mais régulier. C'est la seule garantie de parvenir tout en haut sans difficulté. Nous commençons à être rodés en ce 12ème jour de trek.

Le temps s'écoule et le jour se lève progressivement. Les sommets de la "couronne du monde" (cf. 7ème partie) sortent des ténèbres nocturnes et se distinguent de mieux en mieux.

Vue sur le Khumbutse (6639m), le col Lho La (6026m), le Changtse (7550m), l'épaule ouest de l'Everest, l'Everest (8848m) et le Nuptse (7864m) depuis les flancs du Kala Patthar    Vue sur Gorak Shep, le Khumbu Glacier et les sommets du haut Khumbu depuis les flancs du Kala Patthar

 

Ils prennent surtout de plus en plus de relief au fur et à mesure que nous avançons. Les couleurs changent également. Le lever du soleil constitue l'apothéose, en venant éclairant le sommet du Pumori (7 165m) qui nous fait face. Quel bonheur d'être là et d'assister à ce lever du jour dans un tel écrin !

Vue sur le col Lho La (6026m), le Changtse (7550m), l'épaule ouest de l'Everest, l'Everest (8848m) et le Nuptse (7864m) depuis les flancs du Kala Patthar    Vue sur le Pumori (7165m) et le sommet du Kala Patthar (5550m) depuis les flancs du Kala Patthar

L'ascension du Kala Patthar (5550m)    La partie finale de l'ascension du Kala Patthar (5550m) au pied du majestueux Pumori (7165m)

Nous parvenons au sommet à 6h45. Il y a foule. Au-dessus de nos têtes, la pyramide enneigée du Pumori nous domine largement et nous appelle à l'humilité. De l'autre côté, une infime partie de la chaîne de l'Himalaya se déploie sous nos yeux. Quelle beauté !

Le Pumori (7165m) depuis le sommet du Kala Patthar (5550m)    Le flanc du Kala Patthar (5550m) et sa vue panoramique sur les sommets environnants

Tandis que nous sommes en pleine contemplation, Dorje et Pasang s'affairent. Ils ont prévu des en-cas et une boisson chaude, et nous invitent à nous servir à tour de rôle. Révigorés, nous attendons notre tour pour nous rapprocher du point culminant. Nous y prenons quelques photos et un membre du groupe y accroche un drapeau à prières.

Notre halte au sommet dure près d'une heure au total. Une heure de repos, de contemplation et de bonheur.

Le Pumori (7165m) et le Lingtren (6713m) vus depuis le Kala Patthar (5550m)    Le Camp de base de l'Everrest (5364m) et le Khumbu Glacier

Vue sur le Khumbutse (6639m), le col Lho La (6026m), le Changtse (7550m), l'épaule ouest de l'Everest, l'Everest (8848m) et le Nuptse (7864m) depuis les flancs du Kala Patthar

Puis vient le moment de la descente, la journée ne faisant que commencer. Nous devons en effet rejoindre une vallée parallèle à la nôtre, située derrière le Nuptse qui se dresse face à nous. Ce qui suppose de contourner ce colosse en opérant une large boucle. Le rythme de la marche est rapide sachant qu'il fait maintenant plein jour et qu'il n'y a pas d'obstacle particulier. La redescente sur Gorakshep dure ainsi une petite heure.

La partie finale de l'ascension du Kala Patthar (5550m) au pied du majestueux Pumori (7165m)    Descente sur Gorak Shep depuis le Kala Patthar

Vue sur le Pumori (7165m) et le sommet du Kala Patthar (5550m)    Descente sur Gorak Shep depuis le Kala Patthar

Vue sur le Khumbutse (6639m), le col Lho La (6026m), le Changtse (7550m), l'épaule ouest de l'Everest, l'Everest (8848m) et le Nuptse (7864m) depuis les flancs du Kala Patthar    Vue sur le Khumbu Glacier, l'épaule ouest de l'Everest, l'Everest (8848m) et le Nuptse (7864m) depuis les flancs du Kala Patthar

En arrivant, nous apercevons tout là haut, au-dessus des toits bleus du lodge, le sommet que nous venons de gravir.

Vue sur le Pumori (7165m), le Kala Patthar (5550m) et le Lingtren (6713m) depuis Gorak Shep (5140m)

Nous rentrons dans nos dortoirs pour boucler nos affaires, puis rejoignons la salle commune pour prendre le petit déjeuner. Pendant ce temps, le ciel s'est un peu couvert dans la vallée en contrebas. Comme tous les jours, les nuages vont progressivement remonter tandis que nous effectuerons le mouvement inverse. Le vent s'est levé et a forcit. Il va nous accompagner toute la journée.

Nous empruntons pour commencer le même chemin qu'à l'aller, longeant le Khumbu Glacier et sa moraine. Le Cirque de l'Everest Base Camp s'efface doucement de notre champ de vision. Nous traversons le pierrier, prenons la grande descente en Z, parcourons la "gouttière" jusqu'au village de Lobuche. Nous descendons encore un peu, avant de prendre la bifurcation menant vers Dughla. Nous croisons beaucoup de trekkeurs, porteurs et alpinistes, ce qui me fait dire que l'appellation d'"autoroute" n'est décidément pas usurpée.

Vue sur Gorak Shep, le Pumori (7165m), le Kala Patthar (5550m), le Lingtren (6713m), le Khumbutse (6639m), le col Lho La (6026m) et le Changtse (7550m) lors de la redescente vers Lobuche    Le Khumbu Glacier, ses moraines latérales et ses sommets enneigés dont le Tabuche Peak (6495m) en face

Vue sur le Khumbu Glacier, le col Lho La (6026m), le Changtse (7550m), l'épaule ouest de l'Everest, et le Nuptse (7864m)    Descente vers Lobuche le long de la moraine du Khumbu Glacier

Arrivée au village de Lobuche (4910m) avec le Tabuche Peak (6495m) en face

Nous dépassons des stupas, témoignages d'une expédition qui a mal tourné, et parvenons à une longue descente. Certains porteurs qui l'empruntent dans un sens ou dans l'autre sont très lourdement chargés et particulièrement habiles dans le transport de leur charge.

Tombes devant le Nangkar Tshang (5616m)    La descente vers Dughla, le Nangkar Tshang (5616m) et le Tabuche Peak (6495m)

Un porteur lourdement chargé dans la descente vers Dughla avec le Tabuche Peak (6495m) au fond    La descente vers Dughla et le Tabuche Peak (6495m)

Il est environ midi lorsque nous atteignons le village de Dughla (4830m). Nous déjeunons "chaud" dans un resto-lodge en songeant au parcours effectué. Et dire que nous sommes tout juste à la mi-journée. Se lever tôt est finalement hyper bénéfique pour prendre le temps de faire les choses.

L'après-midi, nous progressons contre le vent qui est très fort. Nous marchons sur un plateau fréquenté par des éleveurs de yaks au regard des refuges éparpillés ici et là. Ils me font penser vaguement à ceux que l'on peut rencontrer dans nos Pyrénées. En contrebas, une rivière s'écoule vers Namche. Elle contourne, comme nous, un grand massif dominé par le Taboche Peak (6 367m). Le paysage a beaucoup changé depuis ce matin : la végétation a refait son apparition sous forme d'une herbe rase et maintenant de petits buissons. Le minéral est toujours présent, mais il parait plus discret, tout comme les glaces éternelles. Bref, le paysage redevient polychrome et avec des couleurs chaudes.

Hauts pâturages sur le chemin menant de Dughla à Dingboche    La partie inférieure du Tabuche Peak (6495m)

Yaks dans les hauts pâturages sur le chemin menant de Dughla à Dingboche    Une cabane en pierre et son enclos sur le chemin menant de Dughla à Dingboche

Une vallée vue depuis le chemin menant de Dughla à Dingboche

Le ciel est désormais bien couvert et de gros nuages s'accrochent aux sommets comme des morceaux de coton. Nous touchons au but : de vieux stupas et drapeaux à prières apparaissent au loin, puis se rapprochent. Les drapeaux flottent au vent et battent vigoureusement dans les airs.

Un vieux chorten sur les hauteurs de Dingboche et le pied de l'Ama Dablam (6814m) au fond

Nous les contournons. Le village de Dingboche (6 814m), notre destination du jour, se dévoile alors au fond de la vallée. Le village et ses champs devrais-je dire. Des murs de pierre délimitent les espaces de cultures et remontent la vallée entre les habitations. La rivière Imja Khola s'écoule en sens inverse, tandis qu'en arrière-plan, l'Amphu Gyabjen (5 630m) et l'Ama Dablam (6 814m) se dressent vers les cieux. L'Ama Dablam que nous retrouvons après l'avoir quitté pour rallier les lacs de Gokyo. Nous sommes contents de le retrouver, car c'est un peu comme une vieille connaissance que l'on aurait laissée derrière nous et que l'on retrouve au détour d'un chemin. Dans le même temps, il nous rappelle que nous nous rapprochons doucement du terme de ce merveilleux voyage. Nous faisons une courte halte pour apprécier le panorama, avant la descente finale. Nous arrivons devant le lodge à 15h.

Le village de Dingboche (4410m) avec au fond l'Amphu Gyabjen (5630m) et l'Ama Dablam (6814m)

Après nous être installés dans de petites chambres doubles (ce qui change des dortoirs de Gorakshep), je pars me promener dans le village avec certains de mes compagnons de trek.

Sèchage des bouses de yaks pour en faire du combustible    La rue principale traversant le village de Dingboche (4410m)

Puis je remonte seul jusqu'aux stupas qui surplombent le village afin de profiter quelques temps d'un authentique et naturel paysage himalayien.

Le village de Dingboche (4410m) vu depuis une montagne environnante et la montée vers Chhukhung    Le village de Dingboche (4410m) et le pied de l'Ama Dablam (6814m) vus depuis une montagne environnante et l'Amphu Gyabjen (5630m)

Samedi 30 avril : Ascension du Chukung Ri (5 550m)

Hier soir, nous avons eu le droit à un briefing de Dorje pour nous parler de l'ascension du Chukung Ri et voir qui de nous était intéressé(e) et motivé(e). Chacun de nous a pris la parole pour donner sa décision et Dorje nous a également donné son avis. Pas question de se fatiguer inutilement sachant qu'il nous reste encore plusieurs jours de marche pour regagner Lukla. A l'issue de ce temps d'échange, nous sommes trois (plus Dorje) à vouloir tenter l'ascension.

Le lever est fixé à 4h30 ce matin. En étant positif, nous gagnons donc 30 minutes de sommeil par rapport à la veille. Comme hier, le dévoué Pasang a préparé une boisson chaude pendant que nous finalisions les préparatifs. De mon côté, en voulant fermer la porte de la chambre discrètement, je me coince un doigt dedans. Mon doigt se met à saigner légèrement et j'ai ainsi le droit à une séquence 1ers soins à la lampe frontale et dans le froid. Bon démarrage ! Je crois que le guide et le sirdar m'ont adoré dans mon rôle de boulet.

Heureusement, tout se passe bien ensuite. Le départ a lieu à 5h. La montée est facile et régulière jusqu'au village de Chukung (4 730m). Nous assistons au lever du jour sous un ciel sans nuage ... comme d'habitude. Les montagnes alentours s'illuminent avec l'arrivée du soleil, et les glaciers des sommets environnants resplendissent.

Vue sur le Tabuche Peak (6495m) et la vallée de l'Imja Khola sur le chemin menant de Dingboche vers Chhukhung    L'Ama Dablam (6814m)

Il nous faut 1h45 pour couvrir les 300m de dénivelé. Rien ne sert de courir, le gros morceau étant prévu pour après.

Un refuge à mi-chemin entre Dingboche et Chhukhung    L'Amphu Gyabjen (5630m), l'Ama Dablam (derrière - 6814m) et la vallée de l'Imja Khola

A l'arrivée à Chukung, nous nous dirigeons vers un lodge pour y prendre le petit déjeuner à l'abri du froid. Dernier moment de repos, derniers préparatifs. Il est 7h40. Le départ officiel est donné.

Nous suivons Dorje sur la première partie de la montée qui est mal signalée. Nous faisons aussi des pauses régulières. Une membre du groupe, qui a du mal à trouver sa respiration ce matin, est à la peine. L'altitude n'est pas en cause d'après elle. C''est juste comme ça et il faut composer avec. Cela arrive même aux plus grands sportifs. Elle souhaite donc gérer sa montée toute seule et est certaine de parvenir en haut. A sa demande et parce qu'il a confiance en elle (et en notre acclimatation), Dorje la laisse progresser à son rythme et nous entraine à sa suite. Nous poursuivons donc à trois jusqu'à atteindre une sorte de plateau.

Les montagnes de l'autre côté de la vallée sont superbes : un véritable rempart de glace se dresse brusquement, dominé par l'Ama Dablam. Le silhouette de ce sommet est inédite vue d'ici. C'est à peine si on le reconnait. A ses pieds s'étale une gigantesque moraine qui nous sépare de ces reliefs. Paysage de désolation... 

L'Amphu Gyabjen (5630m), l'Ama Dablam (6814m), l'Ombigaichang (6340m), l'Ama Dablam Glacier, le Chhukhung Glacier et la vallée de l'Imja Khola    L'Amphu Gyabjen (5630m), l'Ama Dablam (6814m) et la vallée de l'Imja Khola depuis les flancs du Chhukhung Ri

Dans la deuxième partie de la montée, nous traversons un grand plateau.

Vue sur les Nuptse à gauche (7864m) et Lhotse à droite (8516m)    Sur le plateau intermédiaire lors de l'ascension du Chhukhung Ri et vue sur le Nuptse (7864m)

Dorje nous indique alors le sommet et nous autorise à partir devant. Mon collègue de trek part en tête. Je le suis à mon rythme, suivi par Dorje qui garde un oeil sur toute la troupe. Le paysage, qui prend de plus en plus de relief, est splendide.

L'Amphu Gyabjen (5630m), l'Ama Dablam (6814m), l'Ombigaichang (6340m) et l'Amphulapcha La (5839m)    Les Lhotse Nup Glacier et Lhotse Glacier, le lac Imja Tsho, l'Amphulapche (5663m) et l'Island Peak (6189m) depuis les flancs du Chhukhung Ri

Je parviens à un col aux alentours de 10h. Des dizaines de cairns le précèdent, avant que je ne vienne buter contre un muret de pierres. C'est le terme de notre ascension puisque, plus loin, le sommet est enneigé et le paysage environnant saupoudré de neige.

Cairns sur une crête en dessous du Chhukhung Ri (5550m)    Cairns sur une crête avec le Chhukhung Ri (5550m) au fond

Nous sommes à 5 380m. Le Chukung Ri est visible en arrière-plan, masqué de temps en temps par d'épais nuages. Idem pour le Nuptse (7 864m) que nous voyons sous un nouvel angle comparé à hier. De l'autre côté, un lac glaciaire s'étend tout au fond de la vallée. On embrasse aussi du regard une partie de la montée et le plateau intermédiaire.

Le Chhukhung Ri (5550m) et le Nuptse (7864m) dans le prolongement    Les Lhotse Nup Glacier, Lhotse Glacier et Imja Glacier, le lac Imja Tsho, l'Amphulapche (5663m) et l'Island Peak (6189m) depuis la crête sous le Chhukhung Ri

Nous arrivons les uns après les autres et nous retrouvons tous là-haut à profiter du panorama, du silence, à nous prendre en photos, à construire un cairn, notre cairn. C'est l'occasion de récupérer.

L'Ombigaichang (6340m), l'Amphulapcha La (5839m), l'Ama Dablam Glacier, le Lhotse Glacier, le Lhotse Nup Glacier et le lac Imja Tsho    Le Nuptse Glacier, la vallée de l'Imja Khola et la partie inférieure de l'Ama Dablam

Le sommet du Lhotse (8516m) dans les nuages et balayé par les vents violents    Le Chhukhung Ri (5550m), le Chukhung (5833m) et le Nuptse (7864m)

Vers 11h, nous amorçons la descente qui va durer 45 minutes. Nous regagnons le lodge de ce matin directement, et y retrouvons nos camarades qui sont montés pour le déjeuner. Les retrouvailles sont joyeuses et chacun a des histoires à raconter.

Descente du Chhukhung Ri sur le village de Chhukhung (4730) et vue sur la vallée de l'Imja Khola

Lorsque nous redescendons sur Dingboche à 13h15, il neige à gros flocons. Comme souvent d'ailleurs lors de notre séjour. La descente est quelque peu pénible, les flocons nous rentrant dans les yeux si nous gardons la tête haute. Encore un appel à la modestie ;) J'apprécie malgré tout cette marche car qui sait si nous aurons encore de la neige himalayienne dans les prochains jours ?

29 janvier 2016

La mégalopole du désert

Imaginez un instant un petit village traditionnel de pêcheurs, coinçé entre une vaste mer et un immense désert. En raison de cet environnement exigeant, les ressources naturelles (au premier rang desquelles l'eau potable) y sont limitées et la population réduite. Il est probable que la vie quotidienne des habitants de ce village s'y déroule selon un rythme immuable, identique depuis des générations, et rythmé par les sorties en mer. Elle doit être ponctuée d'une succession de tâches bien définies, qui garantissent la survie de chacun et de la communauté villageoise toute entière. Les conditions de vie y sont simples mais rudes, et en tout cas loin des tumultes de notre monde.

Imaginez maintenant une mégalopole de renommée internationale, dynamique, foisonnante, multi-culturelle, innovante, éblouissante ... pour ne pas dire presque insolente. Imaginez une cité qui ne dormirait jamais, qui chercherait à occuper la première place mondiale dans de nombreux domaines, et surtout dans l'imaginaire collectif, une cité qui s'attacherait en permanence à relever les défis les plus fous. Un peu comme la Babel de l'Ancien Testament.

Imaginez enfin une cité qui basculerait de la première situation à la deuxième en un demi-siècle environ. Quelle croissance spectaculaire ! Quelle révolution dans la vie de ses habitants ! Et dans les mentalités !

Ce scénario est précisément celui qu'a connu Dubai, un des 7 émirats des Émirats Arabes Unis, entre les années 1960 et aujourd'hui. Mais reprenons au commencement...

Localisation de Dubai

La première mention du site de Dubaï apparait dans le Livre de géographie d'Al-Bakri, un Andalou du Xème siècle. Par la suite, Dubai resta pendant très longtemps une petite bourgade se consacrant à l'agriculture vivrière et à la pêche aux perles. La faute à sa localisation au coeur d'une région particulièrement inhospitalière d'Arabie qui bridait son développement.

La véritable histoire de Dubai démarre en 1833, à la suite d'un conflit tribal survenu dans l'oasis de Liwa. Cette année-là, guidés par la famille Maktoum, quelques 800 membres de la tribu Bani Yas fuient les violences et viennent s'installer dans la péninsule à l'embouchure de la Dubai Creek. Les Maktoum prennent rapidement conscience du caractère stratégique de cet emplacement et du potentiel offert par le port naturel qu'est la Dubai Creek. Aussi s'empressent-ils de déclarer leur indépendance par rapport à leur cité d'origine : Abu Dhabi. Dubaï reste malgré tout jusqu'à la fin du XIXème siècle un modeste bourg, isolé du monde et spécialisé dans la pêche aux perles.

Grâce aux évolutions géopolitiques (création des États de la Trêve), à leur clairvoyance et au dur labeur de leur population, les Maktoum parviennent à transformer progressivement la bourgade des origines en un centre pour le commerce, la pêche, le ramassage des perles et la navigation maritime. Dubai devient ainsi au tournant du 20ème siècle un port florissant ... et le principal port sur la côte du Golfe Persique ! Plus de 350 marchands ouvrent un établissement dans le souk de la rive de Deira, ce qui en fait le plus grand marché de ce genre sur la côte.

Dans les années 50, l'actuel dirigeant de Dubai, Sheikh Rashid Bin Saeed Al Maktoum, procède à d'importants travaux de dragage d'un canal dans la Creek pour lutter contre son envasement. Cette politique, associée à la découverte de pétrole dans les années 60, contribua à la prospérité et à la croissance de la ville, qui s'imposa comme un hub commercial majeur de la région. Les revenus du pétrole et la sagesse de ses dirigeants (souhaitant diversifier leur économie afin de réduire la dépendance au pétrole) firent ensuite de Dubai la véritable métropole internationale qu'elle est aujourd'hui.

C'est dans ce contexte, et en raison d'une émulation avec sa rivale Abu Dhabi, que les projets architecturaux les plus ambitieux, les plus innovants, les plus extravagants aussi ont vu le jour. En voici un très rapide aperçu :

- le quartier de Deira et ses alentours constituent le coeur historique de la ville. Ils combinent plutôt harmonieusement tradition et modernité avec des tours à vent, des souks, des mosquées, des ruelles étroites, des buildings élégants et des abras (petits bateaux taxi) à foison. C'est la zone où l'influence orientale est la plus pregnante, dont la (relativement) plus authentique.

Le souk des ustensiles, sa galerie couverte et sa tour à vent    Un des tours à vent du souk des ustensiles

Buildings du quartier de Deira bordant la Dubai Creek, et abras traversant l'estuaire    Une mosquée rattachée au siège du Gouvernement

- la Sheik Zayed Road est une véritable autoroute urbaine (2 x 7 voies sur certaines portions !). Mais sa caractéristique majeure est sa démesure avec son allée de grattes-ciels tous plus hauts les uns que les autres, tous plus clinquants les uns que les autres. Autant dire que vous vous sentez tout petit à leurs pieds.

Immenses grattes-ciels de la Sheikh Zayed Road    Immenses grattes-ciels de la Sheikh Zayed Road

Vue panoramique sur des grattes-ciels - Boulevard Sheikh Mohammed bin Rashid    Immense alignement de grattes-ciels de la Sheikh Zayed Road

 - on ne peut pas passer dans ce quartier sans mentionner la Burj Khalifa, la plus haute tour du monde à ce jour avec 828 mètres de hauteur. Une prouesse technique en plein désert, mais une cruelle humiliation pour Dubai  : stoppée en pleine crise financière, sa construction n'a pu être achevée que grâce aux subsides de l'émir d'Abu Dhabi (c'est ainsi que Burj Dubai est devenue Burj Khalifa) :

La Burj Khalifa (828m) plus haute tour du monde

 

- notre périple se poursuit quasiment en ligne droite le long de la côte du Golfe Persique jusqu'à l'hôtel Burj Al Arab, unique hôtel 7 étoiles au monde. Isolé sur une île artificielle, il est entouré de banlieues pavillonnaires et de complexes touristiques, dont un hôtel en forme de vague. Burj Al Arab est quant à lui en forme de voile.

Une rue résidentielle parallèle à la Jumeirah Road    Jumeirah Beach Hotel alias la Vague - Jumeirah Road

Burj Al Arab    Burj Al Arab et la Vague

- toujours plus loin dans le défi et la folie des grandeurs, une véritable île en forme de palmier géant a été édifiée juste au-dessus des flots du Golfe. Son nom ? The Palm Jumeirah : chaque palme du palmier accueille des dizaines de pavillons identiques tandis que le tronc central et la digue périphérique accueillent des complexes hôteliers gigantesques et une promenade digne de Beverly Hill. La démesure n'a plus de limites. Enfin presque... Ce "monument" a été mal conçu et s'enfonce inexorablement. Les prémices d'un engloutissement futur ? 

Dans tous les cas, la vue depuis l'anneau extérieur est sublime où que l'on regarde et surtout au coucher du soleil.

Vue sur Dubai Media City et Al Sufouh depuis The Palm Jumeirah    Le complexe hôtelier Atlantis à l'extrémité de The Palm Jumeirah

Un complexe hôtelier d'influence yéménite - The Palm Jumeirah    Le littoral du Golfe Persique avec notamment Burj Khalifa, Burj Al Arab et la Vague

- une autre zone de verticalité se situe à Dubai Marina que vous pouvez observer depuis The Palm Jumeirah. Deux images rendent tout commentaire superflu :

Vue sur les grattes-ciels de Dubai Marina depuis The Palm Jumeirah    Vue sur les grattes-ciels de Dubai Marina depuis The Palm Jumeirah

 

- Dubai est aussi la métropole où se joue une compétition féroce entre les malls, ces gigantesques centres commerciaux à l'américaine qui concentrent hypermarché, enseignes de shopping internationales, cinéma et pôle de loisirs. J'ai eu l'opportunité d'en visiter deux.

Le Mall of Emirates regroupe toutes les enseignes occidentales et de luxe que vous retrouvez dans n'importe quelle ville occidentale d'une certaine dimension. Il est contigü avec un hôtel de luxe dans lequel vous pouvez déboucher avec un peu de malchance : vous expérimenterez alors la transformation instantanée en Bidochons jusqu'à la sortie du lieu. Le mall abrite également une élégante reproduction de la nef du Grand Palais sous laquelle se tiennent des chorégraphies régulières. Mais son attraction phare est une station de ski tenue par une société lyonnaise. Toutes les installations habituelles y sont présentes ... jusqu'au chalet savoyard proposant de la fondue ! Le comble de l'extravagance (et de la vanité) est la présence de véritables manchots empereurs, qui résident habituellement en Antarctique. Et oui vous avez bien lu, des manchots empereurs en plein désert !!! Il fait -2° dans la station, une vingtaine dans le mall et souvent plus de 35° dehors. Autant dire que les bilans énergie et carbone de cet édifice alimentent largement le réchauffement global.

Un hôtel Kempinski et le Mall of The Emirates avec Ski Dubai    Un show avec un pingouin à Ski Dubai - Mall of The Emirates

La fameuse station de ski de Ski Dubai - Mall of The Emirates    La fameuse station de ski de Ski Dubai - Mall of The Emirates

 

Un bowling attenant à Ski Dubai - Mall of The Emirates    Un spectacle à l'intérieur d'un grand hall du Mall of The Emirates

Une reproduction de la nef du Grand Palais dans le grand hall du Mall of The Emirates    Un hypermarché Carrefour dans le Mall of The Emirates

Son rival, le Dubaï Mall, est situé au pied de la tour Burj Khalifa. Il renvendique le titre de plus grand mall au monde. Outre ses boutiques occidentales et de luxe, il abrite un aquarium géant dans lequel a évolué un requin baleine, le plus gros poisson du monde (sous la pression des écologistes, celui-ci a depuis été retiré de sa prison de verre). Le mall a aussi scénarisé ses espaces en reconstituant par exemple un souk. Enfin, il permet d'accéder au lac situé au pied de la Burj Khalifa avec son spectacle de fontaines musicales qui a lieu en début de soirée toutes les demies-heures. Une superbe et paisible escale au milieu de cette insolence.

La grande baie vitrée de l'aquarium du Dubai Mall    Des souks reconstitués à l'intérieur du Dubai Mall

Un squelette de dinausaure sous une rotonde du Dubai Mall    Une galerie du Dubai Mall

La promenade autour du Burj Khalifa Lake bordée par les commerces du Dubai Mall    La promenade et les immeubles autour du Burj Khalifa Lake

Je finirai par une photo insolite de la Burj Khalifa aux couleurs de la France, un hommage de l'Émirat aux victimes des attentats du 13 novembre 2015...

La Burj Khalifa (828m) aux couleurs de la France (suite aux attentats de Paris)

 

22 juin 2015

Immersion dans un village équatorien

Localisation de l'Equateur

En ce début du mois de mai 2015, j'ai rendez-vous à Bacpancel, une communauté des Andes équatoriennes située à environ 1h de route de Cuenca (province de l'Azuay). Pour être précis, je devrais d'ailleurs dire NOUS avons rendez-vous, puisque nous sommes cinq à accomplir ce voyage en plus de notre coordinatrice-traductrice.

Il s'agit d'un voyage différent des précédents parce qu'il se veut solidaire. Le principe est simple : s'immerger durant une dizaine de jours dans une communauté traditionnelle pour découvrir "de l'intérieur" la vie quotidienne de ses habitants. Cette bonne idée, c'est l'agence Double Sens qui l'a eue et qui l'a concrétisée sur 3 continents (Afrique, Amérique et Asie). Vous trouverez un lien vers leur site dans mon précédent article.

Mais ce voyage solidaire est surtout rendu possible grâce à l'adhésion, l'énergie et l'enthousiasme des membres de notre communauté d'accueil, en particulier ses femmes. Ce sont elles qui ont défini les contours de la mission et son objectif principal : montrer et témoigner de leur mode de vie. 

Vue sur le centre de Bacpancel depuis la partie haute du village

 

Lundi 4 mai : tressage de la paille toquilla

Ce matin, nous avons rendez-vous avec Laura à la "garderie" de Bacpancel. Il s'agit d'un bâtiment qui abrite l'association des femmes artisanes de la communauté. Ce sera également notre QG tout au long de ce voyage.

Lorsque nous franchissons le seuil, nous sommes tout de suite immergés dans l'ambiance de cette matinée : des brins de paille multicolores sont étendus et sèchent sur des cordes à linge. Ils ont chacun été plongés à tour de rôle dans une marmite d'eau bouillante, dans laquelle les femmes ont rajouté des colorants chimiques achetés à Gualaceo, la ville la plus proche. Un véritable arc-en-ciel se déploie sous nos yeux.

La garderie    Coloration puis séchage de la paille toquilla

Paille colorée en train de sécher    La paille toquilla suspendue pour sécher après le bain de coloration

La paille toquilla est une fibre végétale qui joue un rôle économique très important en Équateur en général, et dans cette communauté en particulier. Elle est en effet la matière première des célèbres chapeaux panama, un produit traditionnel confectionné dans le pays et non pas chez son homologue du nord. Elle sert aussi à la fabrication d'objets tressés : corbeilles, étuis à bouteille, petites boites, sets de table, ...

La paille est extraite d'un palmier qui croît sur la côte pacifique. Elle est récoltée sous forme de pousses avant que la feuille de l'arbre ne se déploie. Ces pousses sont ensuite battues, puis transformées en fils ou fibres qui sont revendus dans la région de Cuenca. La matière première est alors rachetée par les entreprises spécialisées de la région ou par de petits artisans.

Les femmes de Bacpancel font partie de cette dernière catégorie. Elles accomplissent cette activité par tradition, mais aussi pour bénéficier d'un complément de revenus, en sus de l'agriculture. Elles revendent ensuite leur production sur les marchés des environs ou dans la boutique du village aux touristes de passage que nous sommes. Leur artisanat est varié et surtout haut en couleurs.

En ce début de matinée ensoleillée, Laura nous propose deux options : fabriquer un mini-chapeau panama pour "coiffer" un stylo ou fabriquer une mini-boite. Nos esprits cartésiens optent pour cette seconde alternative à la finalité plus immédiatement perceptible. Nous choisissons deux ou trois couleurs. J'opte pour trois, celles figurant sur le drapeau en hommage au pays où nous sommes.

Laura commence à tresser le squelette, ce qui requiert un certain coup de main. Elle opère si rapidement que nous avons beaucoup de mal à décortiquer ses mouvements. Une fois initié, elle passe la main à ses élèves que nous sommes et construit déjà un nouveau squelette. Elle garde cependant un oeil sur chacun de nous. 

Nous commençons par tresser la base en liant les brins de paille trois par trois, puis deux par deux, et enfin un par un. Il faut de temps en temps rajouter un nouveau brin de paille. Laura s'en charge compte tenu de notre peu d'expérience.

Tressage du fond de la petite boite    Tressage du fond de la petite boite

Tressage du fond de la petite boite

Sur son indication, nous montons ensuite les bords de la boite en entrelaçant les brins de paille. Nous insérons pour cela un moule en bois et continuons le tressage de façon à envelopper le moule. 

Tressage d'une boite en paille toquilla    Tressage d'une boite en paille toquilla

L'ambiance est studieuse et décontractée à la fois. C'est surtout Laura qui a du boulot puisqu'elle nous surveille tous les six et corrige nos erreurs. Nous terminons notre oeuvre au bout d'une bonne heure et demie. Laura nous propose alors de tresser le couvercle. Nous ne devons pas être si mauvais que ça finalement. ;)

La technique étant plus ou moins acquise, nous gagnons un tout petit peu en dextérité. Le travail progresse vite sous l'oeil de notre professeur d'un jour. J'opte toujours pour le tressage tricolore aux couleurs de l'Équateur. Mais avec le recul, j'aurai dû ne choisir qu'une seule couleur. Cette seconde partie de l'activité dure encore une bonne demi-heure.

Et voilà le travail. Gracias Laura !

Deux petites boites tressées

Mardi 5 mai : tonte de deux moutons

Ce matin, c'est Maria-Angeles qui organise l'activité. Nous l'avions rencontrée brièvement hier lors de l'atelier tressage. Maria et Luz sont bien entendu présentes. Nous commençons par récupérer plusieurs paires de ciseaux pour écoliers à la Garderie. Le hasard veut que nous en prenions certains pour gauchers mais nous ne nous en rendrons compte que plus tard.

Équipés, nous nous rendons à pied jusqu'au pré de Maria-Angeles. Nous empruntons les pistes en terre battue pour traverser le village, puis nous nous engageons sur un petit sentier à flanc de colline. Celui-ci est tantôt correct, tantôt étroit et en surplomb, certains champs étant construits en terrasses. Nous dépassons aussi des habitations et leur cortège de chiens aboyant ou quelques porcheries sur pilotis. Original !

Nous parvenons au bout d'un quart d'heure environ à un petit pré. 6 moutons et brebis, dont 2 agneaux, y paissent tranquillement tandis que les petits cherchent à têter leur mère respective.

Une brebis et son agneau    Les deux moutons à tondre

 

Maria-Angeles amène un premier mouton à la toison très fournie. La tonte s'impose effectivement. Nous le soulevons et le couchons dans l'herbe. Maria-Angeles lui attache les pattes pour l'empêcher de se relever, mais surtout de se blesser ou de nous blesser. Et c'est parti pour la tonte avec nos ciseaux d'écoliers. Nous sommes quatre sur l'animal pour aller plus vite. Il faut dire qu'il est un peu stressé bien que résigné.

Préparation du premier mouton (attachement des pattes)    Gros plan sur la tonte du mouton avec des ciseaux d'écoliers

Le travail dure une bonne heure et demie à cause de notre métériel et par peur de blesser l'animal. Celui-ci trésaille de temps en temps, ce qui nous effraie lorsque nos ciseaux sont en train de couper la laine tout près de la peau de l'animal. La laine est épaisse, très grasse et parsemée de debris végétaux et de petits insectes (des tiques ?).

Nous progressons lentement. Nous avons l'impression de ne pas beaucoup avancer au début car le résultat est peu visible. Et tout d'un coup, la toison de laine apparait distinctement. Une autre étape est franchie lorsque nous basculons le mouton pour le changer de côté. On se rend alors compte du travail accompli ... et restant à accomplir.

Gros plan sur la tonte du mouton avec des ciseaux d'écoliers    Tonte du 1er mouton avec Maria Angeles, Fabienne et Monique

Une fois la tâche achevée, Maria-Angeles défait les entraves du mouton et le libère. Celui-ci se relève d'un bon. Je le raccompagne en le tenant par une corde à son aire de pâturage. Pendant ce temps, le second mouton est préparé, tout aussi touffu. Nous sommes entre 3 et 4 à intervenir pour lui. Nous allons désormais un peu plus vite.

L'animal est plus agité et se débat davantage. il m'effraie à plusieurs reprises alors que je lui tonds la tête et les joues. Maria-Angeles est passée à une autre activité, toujours dans le souci de nous faire découvrir leur vie. Elle est en train de filer la laine pour en faire une grosse pelote. Deux, puis trois de nous se joignent à elle et lui proposent un coup de main. Elles s'essaient au filage et au tricotage. Cela me dit moins donc je continue la tonte du deuxième mouton.

Maria Angeles en train de filer la laine    Maria Angeles en train de filer la laine

Une pelote de laine épaisse

Au final, j'ai considéré cette matinée comme une très belle expérience, qui plus est enrichissante. Je ne pense pas que les deux moutons partagent le même avis. Il est clair que ni moi, ni les autres voyageuses n'avons de dons pour la coiffure, la tonte ou le toilettage, en tout cas sur le plan artistique :

Un des deux moutons tondus    La laine de nos braves moutons et les petits brins de laine épars

Jean-Louis David et conssorts n'ont aucun soucis à se faire là-dessus.

Mercredi 6 mai : randonnée vers la montagne Tari

La montagne Tari est située en amont de Bacpancel. En fait, il s'agit plus d'une grosse colline que d'une véritable montagne. Le dénivelé n'est en effet pas vraiment impressionnant sachant que le village est déjà à 2 500m d'altitude et qu'il est entouré de nombreuses montagnes (ou plutôt collines). Le sommet est en outre arrondi et couvert d'herbes rases. Loin de l'univers minéral du Cotopaxi, du Chimborazo ou même de nos Pyrénées !

Ce matin, le taxi 4x4 nous emmène à une vingtaine de minutes de piste de Bacpancel (pour gagner du temps). Le chemin en terre est valloné et parsemé de nids de poule. Il est également emprunté par d'autres véhicules et des piétons puisque c'est a priori un axe de circulation unique dans le coin. Nous les saluons au passage.

Soudain, le taxi s'arrête et nous sommes invités à descendre. Derniers préparatifs. Puis nous nous engageons à la suite de Maria et Luz sur un petit sentier... qui va se révéler être un vrai bourbier. Nous prenons garde à chaque pas de ne pas glisser. Nous nous raccrochons partout où c'est possible. L'équation est simple : boue + pente = patinette ou dérapage incontrôlé. L'une de nous en fera l'expérience, en ayant la chance de ne même pas se tâcher.

Le sentier boueux

Au bout d'une dizaine de minutes, des sons de cloches nous parviennent et se rapprochent rapidement. Nous nous mettons tout de suite sur le bas-côté et légèrement en hauteur. Un troupeau de vaches déboule à toute vitesse. Elles non plus ne maitrisent pas tout, apeurées par notre présence et ce terrain dangereux pour leurs pattes. La première nous dépasse sans réfléchir. Les suivantes, dont un veau, s'immobilisent juste devant nous, craintives. Il faudra l'intervention de leurs bouvières pour qu'elles se résignent enfin à reprendre leur chemin.

Nous reprenons alors le nôtre, toujours avec précaution. Une partie de la montée se fait dans des forêts d'essences différentes. Certains bosquets sont luxuriants avec des broméliacées agrippées aux arbres. On se croirait presque en pleine jungle. L'autre partie de la montée est composée de clairières et pâturages. Nous croisons aussi des chevaux et quelques paysans lors de notre randonnée d'environ 1h15. De temps en temps enfin, nous parvenons à une espèce de belvédère qui nous offre une vue panoramique sur les environs.

La montagne sacrée Pichy faisant face à la montagne Tari et victime de pilleurs de tombes    Végétation luxuriante dans un petit bois

Une prairie d'altitude sur la montagne Tari offrant une vue panoramique

La pente se fait un peu plus raide à l'approche du sommet. Lorsque nous y parvenons, nous découvrons un terrain très irrégulier, comme ceux bombardés par les obus en Normandie. Il s'agit en fait d'anciennes sépultures qui ont été pillées. En effet, chez les Quichuas, la coutume était d'enterrer les défunts au sommet des montagnes pour les rapprocher du ciel. Or le matériel qui accompagnait les dépouilles suscitait les convoitises de pilleurs sans scrupule.

Le sommet de la montagne Tari visité par les pilleurs de tombes

Maria et Luz tenaient à nous faire découvrir cette facette de leur culture, et à nous montrer un point de vue sur les reliefs et massifs forestiers environnants, ainsi que sur la ville de Cuenca.

Après une courte pause, nous entamons la descente toute aussi périlleuse. Nous passons par les lagunes de la femme et de l'homme, ainsi nommées en raison d'une légende. Nous regagnons ensuite la garderie en taxi.

Le lac sacré de la femme sur la montagne Tari    Le lac sacré de l'homme sur la montagne Tari

Jeudi 7 mai : rencontre d'un homme engagé en faveur de l'agriculture biologique

Don Miguel est un agriculteur de la communauté âgé de 70 ans. Rien ne le distingue en apparence de ses homologues : il possède une ferme ou assimilée, des terres qu'il cultive, des animaux qu'il élève, dont un élevage de cuys (une espèce de cochons d'inde destinée à l'alimentation). Pourtant, Don Miguel est un homme exceptionnel par son engagement en faveur de l'agriculture biologique. Il se bat seul depuis des années pour défendre une agriculture propre, c'est-à-dire sans produits chimiques. Il est tout à fait lucide à l'égard des semenciers et firmes phytosanitaires qui promettent rendements élevés et gains financiers au détriment de la nature.

Don Miguel devant son potager

Don Miguel raconte que les produits chimiques ont envahi les exploitations agricoles de la région dans les années 60. La quasi-totalité des agriculteurs du coin ont cédé aux sirènes de la modernisation et se sont engagés dans cette voie. Lui a refusé et tient bon depuis. Son credo : produire propre, comme le faisait avant lui ses parents et grands-parents. Du bon sens tout simplement ! Pourquoi remplacer des pratiques ancestrales et respectueuses de l'environnement par de nouvelles techniques moins éprouvantes, plus rentables mais néfastes pour la terre-mère ? Il est donc le seul agriculteur bio dans le village et il doit lutter sans cesse pour le faire reconnaitre. Point positif : son fils suit le même chemin que lui.

Aujourd'hui, Don Miguel élève des cochons, des brebis, des vaches, des cuys, des poules et des coqs. Il cultive du maïs, du chou, des choux-fleurs, des brocolis, des courges, des salades, des mûres, des pêches, des tomates d'arbre (un fruit local) et des pommes. Il fait aussi pousser de l'herbe pour nourrir ses cuys. Bref, il varie les productions pour empêcher l'appauvrissement de ses sols. Il utilise aussi les déjections de ses animaux et les feuilles mortes comme engrais et fertilisants. Il a enfin recours à deux plantes répulsives naturelles (l'une chasse certaines catégories de parasites, la seconde en chasse d'autres) à la place des produits chimiques. Du vrai bio quoi ! Don Miguel reconnait que cela réclame beaucoup de travail pour y parvenir, mais que cela est rentable contrairement aux idées reçues. Ses confrères recherchent donc la facilité.

Fabrication de compost naturel sous un abri    Des arbres fruitiers (pommiers notamment) dans le jardin de don Miguel

Des cuys dans un bâtiment spécifique    Un arbuste produisant des tomates d'arbre

Don Miguel se bat depuis des années pour obtenir un label bio qui prouvera ses efforts aux consommateurs et citadins. Sur le marché, ses produits sont en effet dispersés par catégorie et noyés dans la masse des produits "classiques". Ses voisins d'étal n'hésitent pas souvent à prétendre que leurs propres produits sont bios. Don Miguel a donc besoin de preuves (le label) pour faire la différence. Il réclame aussi que tous ses produits soient regroupés en un seul endroit (bio) sur le marché pour le différencier des autres stands. 

Dans le cadre de son "combat", Don Miguel s'est investi dans l'association Mushuk Pakarina qui regroupe 80 agriculteurs des communautés alentours. Il en est aujourd'hui le président. Il participe à ce titre à de nombreuses réunions aux niveaux local, provincial (Cuenca et l'Azuay), et parfois national, voire internatonal. Il a par exemple assisté à une conférence sur son sujet de prédilection à Lima au Pérou.

Au niveau national, il existe d'autres associations similaires dans l'Oriente et sur la côte pacifique. Toutes échangent entre elles, même si leur problématique est parfois un peu différente. Dans l'Amazonie (Oriente) par exemple, les exploitations font en moyenne 80 à 100 ha. Celles de la région andine sont beaucoup plus petites et morcelées.

Le Ministère de l'Agriculture soutient la démarche bio sur le principe. Malheureusement, il n'apporte pas de soutien concret ou de modifications législatives. Don Miguel a monté plusieurs dossiers pour la création d'un label bio. Il n'a jamais obtenu de réponse. Le gouvernement souhaite en réalité privilégier l'agriculture à l'export pour les devises qu'elle apporte. Les petits paysans équatoriens sont de leur côté éloignés de ces considérations.

Le cahier des charges en vue de l'obtention d'un label bio

Autour de l'association de Don Miguel gravitent 8 autres associations similaires. Il a donc beaucoup, beaucoup de travail de plaidoyer à mener pour convaincre les autorités de la nécessité de créer un label. Sa femme étant malade, il est aujourd'hui obligé de renoncer à cultiver une partie de son exploitation pour faire avancer sa cause.

Aussi dures soient les difficultés auxquelles il est actuellement confronté, Don Miguel ne baisse pas les bras. Il a ainsi été le premier à installer un système d'arrosage automatique pour son potager. Personne n'a voulu l'aider. Tant pis, il a tout fait lui-même. Les agriculteurs des environs commencent à voir les avantages de son système. Don Miguel ne leur en tient pas rigueur et se propose de leur montrer et de leur expliquer. Il souhaiterait aussi développer un système de libre cueillette ou de paniers garnis où les habitants des environs viendraient eux-mêmes récolter les produits dont ils ont besoin dans son exploitation. Malheureusement, ceux-ci ont déjà leurs parcelles à disposition et ne sont donc pas intéressés. Enfin à cause du manque de temps et de son âge, il songe désormais à s'équiper d'un motoculteur manuel pour lui faciliter la vie et s'économiser. 

Don Miguel devant une plantation de choux

Au final, cette matinée nous a permis de rencontrer un homme engagé et admirable. Loin de s'enfermer dans un conservatisme aveugle, Don Miguel défend un idéal (plus que louable) et s'efforce tant bien que mal de le mettre en pratique au profit de la collectivité toute entière et non de son seul intérêt personnel. Bravo !!!

Vendredi 8 mai : participation à la "minga"

Le terme "minga" désigne un travail communautaire. Le principe est très simple : au moins une fois par semaine, les habitants de la communauté qui le peuvent se regroupent pour mettre leur force de travail au service de la communauté. Ils peuvent ainsi construire des infrastructures collectives qui profitent à toute la communauté villageoise. A la différence des corvées d'antan, la participation à la minga n'a rien d'obligatoire. Elle repose entièrement sur le volontariat, ou plutôt sur le sens des responsabilités et l'engagement citoyen de chacun.

Arrivée sur le site de la minga (travail communautaire pour construire une maison pour tous)

Aujourd'hui, nous allons participer (modestement bien entendu) à la construction d'une maison pour tous. Celle-ci sera destinée à accueillir tous ceux qui veulent se rassembler ou se réunir : jeunes, membres de l'association des femmes artisanes, ... Le bâtiment est en cours de construction au sommet d'une colline qui surplombe le village. Le chantier est déjà bien avancé : 3 terrasses ont été érigées au sommet de la colline, le terrain a été applani, des briques d'adobe ont été fabriquées et stockées au niveau de la 3ème terrasse, enfin le 1er étage du bâtiment est déjà achevé au niveau du gros oeuvre (murs & charpente).

Vue panoramique sur Bacpancel, San Juan et les environs    Maria observant le chantier de la minga

Un des hommes est désigné comme chef de chantier. Il est chargé d'affecter une mission à chacun selon ses capacités. Il prend part lui aussi aux travaux.

Ce vendredi, les femmes sont chargées de transporter les briques d'adobe de la 3ème terrasse vers la 1ère (la plus basse) où est érigé le futur bâtiment. Ces briques ont été confectionnées à partir d'un mélange de terre (peut-être de la bouse en fait), de petites pierres et de paille, puis mises au séchage. Chaque pièce pèse environ 20kg. Les femmes les transportent sur leur dos en les entourant d'un simple châle. Elles vont faire le trajet des dizaine de fois.

Les femmes descendent les parpaings en adobe vers la construction (1 parpaing = 20 kg)

Les hommes s'occupent du gros-oeuvre. Ils récupèrent les briques apportées par les femmes et s'en servent pour élever le deuxième étage du bâtiment. Ils se déplacent tels des funanbules sur des poutres qui forment la charpente du 1er étage.

Montage des parpaings en adobe sur la construction (1 parpaing = 20 kg)

J'effectue deux allers-retours pour descendre à mon tour des briques d'adobe. Mais nous sommes rapidement affectés à une autre tâche. Sur la 3ème terrasse, se dresse un petit tas de terre (continuons dans le déni ;)). Nous devons le retourner à l'aide de deux pelles et en extraire les grosses pierres. C'est un travail fatigant pour nous à cause de l'altitude, mais nous ne débrouillons pas trop mal. Nous devons ensuite mettre la terre dans un sac et le redescendre sur la 1ère terrasse pour en faire un ciment. Les femmes qui ont déjà déplacé toutes leurs briques viennent nous donner un coup de main. Nous faisons de nombreux allers-retours jusque vers 12h. Puis nous devons rentrer à la garderie car les animations avec les enfants de l'école débutent à 13h30.

Transport d'un sac de terre pour le descendre jusqu'à la construction

Lundi 11 mai : visite chez la brodeuse du village

Mercedes est la seule femme de la communauté à savoir faire de la broderie. Les autres femmes ne connaissent pas la technique et ne possèdent pas non plus l'équipement adéquat. Mercedes possède quant à elle une machine à coudre de la marque Singer, avec pédale (la même qui se trouve dans le grenier de vos grands-parents). Elle travaille pour le compte d'une entreprise de Gualaceo, une ville de la vallée, qui lui fournit tout le matériel sauf le fil. Elle obtient ainsi davantage de commandes et un complément de revenus à ses activités agricoles. Le reste du temps, elle répond aux commandes directes, beaucoup moins régulières, ou elle est obligée d'aller vendre ses produits sur le marché.

Mercedes derrière sa machine à coudre

Mercedes brode sur les polleras, les jupes traditionnelles des femmes de la région. Celles-ci en possèdent généralement 3 modèles. Les plus aisées peuvent s'en acheter une spéciale pour le jour de leur mariage, mais la plupart des agricultrices ne peuvent pas se le permettre. Notez que certaines femmes ne portent pas de polleras par choix. Elles leur préfèrent le pantalon.

Mercedes derrière sa machine à coudre    Mercedes derrière sa machine à coudre

Il existe une grande diversité de polleras selon les moyens de la clientes. Certaines sont en velours, d'autres en tissu plus classique. La couleur est libre, même si le noir est surtout porté pour le deuil qui dure de 4 à 6 mois. Au final, la confection d'une pollera peut nécessiter jusqu'à une semaine de travail et peut coûter jusqu'à 100$ !

Mercedes dessine elle-même sur une fine bande de papier les motifs qu'elle souhaite broder. Certains modèles lui sont également fournis. Elle coud ensuite cette bandelette blanche sur le bas de la robe, côté extérieur, avec un fil blanc provisoire. Ces deux éléments seront enlevés plus tard. Elle change ensuite de bobine de fil pour la remplacer par celle de la couleur souhaitée. Elle remet alors en marche sa machine et commence la broderie. Elle suit minutieusement les traits tracés sur son modèle. Mais pas tous : seulement ceux qui doivent être de la couleur utilisée. Elle laisse donc des endroits vides ou ne trace que les contours d'une forme quand elle remplit d'autres formes complètement.

Sa main est rapide et assurée. Pourtant la tâche n'est pas évidente. La rapidité de l'aiguille ne pardonne pas la moindre erreur, sinon le motif est déformé. Les autres femmes du groupe qui se sont essayé à cette activité, ont été confrontées à ces "sorties de route", ainsi qu'à des ruptures de fils. Mercedes souffre par ailleurs d'une vue dégradée à cause des longues heures passées à broder de minuscules motifs. Elle s'en accomode tant bien que mal, sans se plaindre.

Mercedes faisant de la broderie sur une pollera

Dès qu'un motif est tracé ou ses contours, Mercedes arrache la bandelette de papier sur ses abords. Elle change ensuite de bobine de fil et poursuit son oeuvre jusqu'à la finition. 

Broderie réalisée par Mercedes sur une pollera    Broderie réalisée par Mercedes sur une pollera

Mardi 12 mai : fabrication de fromage de vache

Ce matin, nous devions en théorie traire les vaches et fabriquer du fromage. Le temps d'arriver au pâturage, la traite est déjà faite. Il faut dire que nous sommes partis un peu en retard de San Juan et que nous avons fait plusieurs haltes sur le parcours pour embarquer des personnes ou débarquer du matériel. De leur côté, les vaches doivent être habituées à être traites à une certaine heure. Tant pis pour nous donc.

La femme qui nous encadre - et dont je n'ai malheureusement pas noté le prénom - est debout devant un seau de lait encore chaud. Elle s'agenouille et verse de la présure chimique dans le récipient. Le mélange se solidifie légèrement en moins d'une minute, sans aucune intervention de notre part. Certes cela peut choquer certains habitants de notre pays, mais cette technique permet aux femmes de gagner du temps en évitant de "brasser" le lait pendant un long moment. Elles peuvent ainsi se consacrer à leurs autres activités.

Fabrication de fromage - ajout de présure dans le lait de vache    Fabrication de fromage - mélange du lait et de la présure

Dès que le lait est "solidifié", on plonge les mains (propres si possible) dans le seau pour récupérer la matière solide. Cette dernière est déposée dans une assiette tandis que le liquide reste dans le seau. On presse fort avec la main libre la matière solide pour l'essorer et en extraire le maximum de jus qui retourne dans le seau. Puis on renouvelle l'opération : on rajoute de la matière solide et on presse. Cela jusqu'à obtenir une masse blanche compacte et sèche. C'est le fromage prêt à déguster sans affinage, ni salaison. Durée de préparation : moins d'une heure du pis à la bouche !

Récupèration du lait solidifié    Fabienne presse le fromage liquide

Bien entendu, si vous avez oublié de vous laver les mains au départ, vous obtenez aussi un fromage ... mais un fromage de caractère au goût très prononcé.

Enfin, vous vous posez sûrement la question : "mais qu'est-ce-qu'on fait du jus ?". Et bien on le donne aux animaux qui en raffolent.

Recyclage du pressé du fromage

Mercredi 13 mai : rencontre avec un "curandero", guérisseur traditionnel

Ce matin, nous avons rendez-vous avec Alberto au-dessus du chantier de la minga. Le lieu choisi n'a rien d'un hasard. Il est situé dans la nature, entre les montagnes de l'homme et de la femme. C'est donc un lieu propice pour l'activité qui nous est proposée. A noter qu'il existe aussi des montagnes de l'enfant, des mariés, des défunts ou des cadavres. Nous sommes donc finalement assez bien tombés je l'admets.

Alberto est le curandero de Bacpancel, c'est-à-dire le guérisseur traditionnel. Il commence par nous faire asseoir en arc de cercle directement dans l'herbe, en contact avec la terre. Pendant ce temps, il se change et enfile une blouse blanche. On dirait un docteur ou un biologiste ainsi vêtu.

Don Alberto, curandero de Bacpancel, en plein préparatifs de la cérémonie

Alberto sort et prépare ensuite son matériel. Il va en effet nous ausculter les uns après les autres. Il commence par déplier et étaler une étoffe bleue (la couleur du tissu change chaque jour, le bleu étant réservé pour le mercredi). Puis il pose dessus des feuilles, des oranges, des bananes classiques et d'autres rouges, une sorte de conque (coquillage), des baguettes de bois avec des étoiles et une petite épée en fer. chaque objet semble avoir sa place. Il sort également des bougies, une pour chaque personne présente, et les allume en les affectant à une personne.

Don Alberto, curandero de Bacpancel, en plein préparatifs de la cérémonie    Le matériel disposé par Don Alberto pour la cérémonie

En guise d'introduction, il nous fait part de son profond respect pour le soleil, la lune, les étoiles, l'air, le feu, la terre (la Pachamama), l'eau, ... en un mot pour la Nature. Il évoque aussi la Croix du Sud, par opposition à notre étoile polaire. La Croix du Sud symbolise pour lui l'interconnection entre deux cultures :

- la culture catholique avec la Croix, le Christ, la couronne d'épines, le coeur transpercé, la lance, le calice, l'ostie, ...

- la culture cañar avec le respect de la Pachamama, de la Nature et des éléments.

Il y aurait des équilibres et des déséquilibres dans la Nature. La pollution et l'activité humaine provoquent des déséquilibres que le curandero doit "rééquilibrer". Il mentionne l'entente nécessaire entre les êtres humains, comme avec les animaux, les plantes, ...

Il continue alors la préparation du rituel en sortant un récipient avec des oeufs, une bouteille d'eau, une tasse en verre translucide et une clochette. Le 1er "patient" est invité à prendre place entre lui et l'étoffe bleue. Il faut être pieds nus (en contact avec la terre) et avoir retiré tous nos objets métalliques. Alberto dépose un oeuf dans la main droite du patient et en prend également un dans la sienne. Il fait alors tourner sa main et l'oeuf tout autour de la tête puis du corps du patient en le secouant et ce jusqu'aux pieds. Si l'oeuf casse, il en prend un autre. Cette étape constitue la phase d'auscultation.

Don Alberto osculte une

Il casse ensuite l'oeuf dans la tasse translucide remplie d'eau, puis il observe. Il jette le tout dans les buissons, récupère l'oeuf du patient, le casse dans la tasse et observe. Puis il pose son diagnostic : émotions, douleurs, ... Là vous y croyez ou pas. J'avoue que même en restant ouvert d'esprit, j'ai un peu de mal à y croire.

Don Alberto établit son diagnostic en cassant les oeufs et observant les jaunes

La consultation se termine par la phase curative : application de lotions (au tabac, à la rose, ...), couverture d'un drap sur la tête (façon fantôme) et sonneries de clochettes, crachats d'alcool sur la zone douloureuse, fumigations avec un cigare, manipulations style kiné. L'évantail est large et ne concerne pas tout le monde (heureusement pour le crachat ou la fumigation !).

Don Alberto passe à la phase de traitement

La consultation est terminée. Au suivant !

19 juin 2015

Soutenez de petites communautés villageoises en Afrique, en Amérique Latine ou en Asie...

Localisation de l'Equateur    

Début mai 2015, Double Sens m'a permis de découvrir une nouvelle formule de voyage : le tourisme solidaire. Une expérience radicalement différente de tous mes précédents voyages puisqu'il s'agissait de s'immerger deux semaines dans une petite communauté quichua en Equateur et de partager la vie de ses habitants. Une fabuleuse expérience que je ne peux que vous recommander !

Dans le détail, notre auberge était basée à San Juan, un village rural situé à 55km à l'Est de Cuenca et à 2500m d'altitude. Ne cherchez pas son emplacement sur Google Maps, il n'y est pas (encore) mentionné.

Localisation de San Juan

Chaque matin nous rejoignions le centre de mission de Bacpancel, situé près de 2km plus haut. Cette communauté est essentiellement composée de femmes et d'enfants, la plupart des hommes étant partis clandestinement ou non aux Etats-Unis pour gagner de l'argent et en envoyer à leur famille restée au village. Parfois, les deux parents sont partis, laissant leurs enfants aux soins des grands-parents ou d'amis. La solidarité est donc très forte localement.

Les femmes restées au village sont loin d'être fatalistes et résignées. Elles ont choisi de prendre en main leur destin et de créer une association de femmes artisanes. Elles reçoivent de temps en temps des groupes de Double Sens (8 personnes maximum) pour faire découvrir leur vie quotidienne et leur culture. C'est ainsi que je me suis retrouvé à tresser des paniers en paille toquilla, à tondre des brebis, à participer à un travail communautaire ou à une cérémonie chamanique au coeur des montagnes de l'Azuay. Une découverte plus humaine et culturelle que physique ...

Tressage de la paja toquilla    Tonte d'un mouton

Visite d'une exploitation bio    Traite des vaches

Les après-midi sont quant à eux consacrés à des ateliers d'animation avec les enfants de l'école locale. Âgés de 6 à 14 ans, ils sont tous très curieux, habiles de leurs mains et avides de découvertes et de nouvelles activités. Scoobidous, bracelets loops, cuisine, sport, activités artistiques ou musicales ne sont qu'un échantillon des activités possibles. Et la plus belle récompense s'obtient dans les sourires que vous ne manquerez pas de récolter.

 

L'école de Bacpancel

Activités dans une salle de classe    Un atelier dans la cour de récré

Double Sens... le nom de cette agence de voyage différente est signifiant de lui-même et résume parfaitement ce que j'ai eu la chance de vivre : une immersion véritable et un échange inter-culturel dans une culture très riche, très belle et hors des sentiers battus. A tel point que j'envisage de repartir avec eux l'an prochain pour une nouvelle mission au Bénin.

 

L'autre avantage de cette agence est que la solidarité ne s'arrête pas forcément au retour. D'anciens voyageurs ont créé l'association Frères de Sens pour continuer à soutenir les communautés rencontrées sur place. Actuellement, un de ses projets est en recherche de financement pour San Juan : il s'agit d'acquérir une machine permettant de finaliser la production de chapeaux panama par la communauté et donc favoriser l'indépendance économique des femmes de la communauté. Vous souhaitez apporter votre pierre à l'édifice ? Il vous suffit de cliquer sur l'encadré ci-dessous consacré à Frère de Sens / HelloAsso. Je vous assure que votre don sera réellement utile sur place et que les précédents financements (plutôt rares car la destination est méconnue) ont permis l'amélioration du quotidien des habitants.

 

Pour plus d'informations ...

Association Freres de Sens | HelloAsso

Tous bénévoles, nous animons depuis 2008 l'association Frères de Sens pour continuer à soutenir les populations rencontrées lors de nos voyages solidaires en Afrique, Asie et Amérique latine.. Découvrez des nouveaux moyens de soutenir Frères de Sens sur HelloAsso. C'est simple et ouvert à tous. Passez à l'action

http://www.helloasso.com

 

Tourisme Solidaire : Voyagez autrement avec Double Sens !

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