Au pied de l'Everest (8ème partie) : grandeurs et décadences
Vendredi 29 avril : Gorakshep (5 160m) - Kala Pattar (5 550m) - Dingboche (4 400m)
La journée commence très tôt avec un réveil à 4h du matin et un départ prévu à 4h30. Le lever n'est pas un problème, même si j'aurais bien dormi un peu plus. Le vrai problème, la vraie épreuve, c'est de sortir de son sac de couchage et de s'habiller compte tenu du froid vif qui règne dans le dortoir. Il y fait probablement autour de 0°, en partie à cause de la vitre cassée qui jouxte mon lit et donne sur le couloir. Je dois donc m'extirper de mon chaud duvet pour enfiler des vêtements glacés, car restés à l'air libre ou dans le sac de voyage. Je ne m'y suis toujours pas habitué.
Dehors, il fait bien entendu un peu plus froid. Il fait aussi nuit noire et les étoiles brillent dans le ciel. Je suis malgré tout motivé et enthousiaste car, pour mon premier trek, j'entame mon 2ème jour d'affilée à plus de 5 000m et je me prépare à gravir mon 3ème sommet au-delà de cette altitude (le 4ème si on rajoute la rando d'hier à l'Everest Base Camp - qui n'est pas un sommet). Et mon corps tient bon. La spécificité d'aujourd'hui, c'est que, si je parviens au sommet du Kala Pattar, j'aurais à nouveau dépassé mon record d'altitude alors que je vis habituellement dans le bassin parisien et n'ai pas eu d'entrainement en montagne avant de partir. Le corps humain est décidément impressionnant !
30 minutes pour se préparer, c'est aussi le temps nécessaire pour manger un petit peu et boire une boisson chaude. Énergie et chaleur, deux clés pour mieux affronter le froid matinal et le défi qui nous attend.
Après les derniers préparatifs et réglages du matériel, nous nous mettons en marche. Nous ne sommes pas seuls. D'autres groupes de trekkeurs nous ont précédé et forment des colonnes de lucioles dans la nuit (avec leurs lampes frontales). Ces colonnes zigzaguent au fur et à mesure que le sentier s'élève. C'est une scène très poétique ... et captivante. En effet, des gens du monde entier profitent de leurs vacances pour venir ici, au coeur de l'Himalaya. Ils marchent durant plusieurs jours, dorment dans des lodges plus ou moins confortables, pour affluer sur cette montagne. Et ils n'hésitent pas à se lever aux aurores pour en faire l'ascension. Curieux quand on y pense non ?
Le sentier est bien tracé. Nous gravissons la pente sud du Kala Pattar derrière Dorje, notre guide. Nous sommes six à le suivre, plus Pasang qui ferme la marche. Dorje impulse le rythme, lent mais régulier. C'est la seule garantie de parvenir tout en haut sans difficulté. Nous commençons à être rodés en ce 12ème jour de trek.
Le temps s'écoule et le jour se lève progressivement. Les sommets de la "couronne du monde" (cf. 7ème partie) sortent des ténèbres nocturnes et se distinguent de mieux en mieux.
Ils prennent surtout de plus en plus de relief au fur et à mesure que nous avançons. Les couleurs changent également. Le lever du soleil constitue l'apothéose, en venant éclairant le sommet du Pumori (7 165m) qui nous fait face. Quel bonheur d'être là et d'assister à ce lever du jour dans un tel écrin !
Nous parvenons au sommet à 6h45. Il y a foule. Au-dessus de nos têtes, la pyramide enneigée du Pumori nous domine largement et nous appelle à l'humilité. De l'autre côté, une infime partie de la chaîne de l'Himalaya se déploie sous nos yeux. Quelle beauté !
Tandis que nous sommes en pleine contemplation, Dorje et Pasang s'affairent. Ils ont prévu des en-cas et une boisson chaude, et nous invitent à nous servir à tour de rôle. Révigorés, nous attendons notre tour pour nous rapprocher du point culminant. Nous y prenons quelques photos et un membre du groupe y accroche un drapeau à prières.
Notre halte au sommet dure près d'une heure au total. Une heure de repos, de contemplation et de bonheur.
Puis vient le moment de la descente, la journée ne faisant que commencer. Nous devons en effet rejoindre une vallée parallèle à la nôtre, située derrière le Nuptse qui se dresse face à nous. Ce qui suppose de contourner ce colosse en opérant une large boucle. Le rythme de la marche est rapide sachant qu'il fait maintenant plein jour et qu'il n'y a pas d'obstacle particulier. La redescente sur Gorakshep dure ainsi une petite heure.
En arrivant, nous apercevons tout là haut, au-dessus des toits bleus du lodge, le sommet que nous venons de gravir.
Nous rentrons dans nos dortoirs pour boucler nos affaires, puis rejoignons la salle commune pour prendre le petit déjeuner. Pendant ce temps, le ciel s'est un peu couvert dans la vallée en contrebas. Comme tous les jours, les nuages vont progressivement remonter tandis que nous effectuerons le mouvement inverse. Le vent s'est levé et a forcit. Il va nous accompagner toute la journée.
Nous empruntons pour commencer le même chemin qu'à l'aller, longeant le Khumbu Glacier et sa moraine. Le Cirque de l'Everest Base Camp s'efface doucement de notre champ de vision. Nous traversons le pierrier, prenons la grande descente en Z, parcourons la "gouttière" jusqu'au village de Lobuche. Nous descendons encore un peu, avant de prendre la bifurcation menant vers Dughla. Nous croisons beaucoup de trekkeurs, porteurs et alpinistes, ce qui me fait dire que l'appellation d'"autoroute" n'est décidément pas usurpée.
Nous dépassons des stupas, témoignages d'une expédition qui a mal tourné, et parvenons à une longue descente. Certains porteurs qui l'empruntent dans un sens ou dans l'autre sont très lourdement chargés et particulièrement habiles dans le transport de leur charge.
Il est environ midi lorsque nous atteignons le village de Dughla (4830m). Nous déjeunons "chaud" dans un resto-lodge en songeant au parcours effectué. Et dire que nous sommes tout juste à la mi-journée. Se lever tôt est finalement hyper bénéfique pour prendre le temps de faire les choses.
L'après-midi, nous progressons contre le vent qui est très fort. Nous marchons sur un plateau fréquenté par des éleveurs de yaks au regard des refuges éparpillés ici et là. Ils me font penser vaguement à ceux que l'on peut rencontrer dans nos Pyrénées. En contrebas, une rivière s'écoule vers Namche. Elle contourne, comme nous, un grand massif dominé par le Taboche Peak (6 367m). Le paysage a beaucoup changé depuis ce matin : la végétation a refait son apparition sous forme d'une herbe rase et maintenant de petits buissons. Le minéral est toujours présent, mais il parait plus discret, tout comme les glaces éternelles. Bref, le paysage redevient polychrome et avec des couleurs chaudes.
Le ciel est désormais bien couvert et de gros nuages s'accrochent aux sommets comme des morceaux de coton. Nous touchons au but : de vieux stupas et drapeaux à prières apparaissent au loin, puis se rapprochent. Les drapeaux flottent au vent et battent vigoureusement dans les airs.
Nous les contournons. Le village de Dingboche (6 814m), notre destination du jour, se dévoile alors au fond de la vallée. Le village et ses champs devrais-je dire. Des murs de pierre délimitent les espaces de cultures et remontent la vallée entre les habitations. La rivière Imja Khola s'écoule en sens inverse, tandis qu'en arrière-plan, l'Amphu Gyabjen (5 630m) et l'Ama Dablam (6 814m) se dressent vers les cieux. L'Ama Dablam que nous retrouvons après l'avoir quitté pour rallier les lacs de Gokyo. Nous sommes contents de le retrouver, car c'est un peu comme une vieille connaissance que l'on aurait laissée derrière nous et que l'on retrouve au détour d'un chemin. Dans le même temps, il nous rappelle que nous nous rapprochons doucement du terme de ce merveilleux voyage. Nous faisons une courte halte pour apprécier le panorama, avant la descente finale. Nous arrivons devant le lodge à 15h.
Après nous être installés dans de petites chambres doubles (ce qui change des dortoirs de Gorakshep), je pars me promener dans le village avec certains de mes compagnons de trek.
Puis je remonte seul jusqu'aux stupas qui surplombent le village afin de profiter quelques temps d'un authentique et naturel paysage himalayien.
Samedi 30 avril : Ascension du Chukung Ri (5 550m)
Hier soir, nous avons eu le droit à un briefing de Dorje pour nous parler de l'ascension du Chukung Ri et voir qui de nous était intéressé(e) et motivé(e). Chacun de nous a pris la parole pour donner sa décision et Dorje nous a également donné son avis. Pas question de se fatiguer inutilement sachant qu'il nous reste encore plusieurs jours de marche pour regagner Lukla. A l'issue de ce temps d'échange, nous sommes trois (plus Dorje) à vouloir tenter l'ascension.
Le lever est fixé à 4h30 ce matin. En étant positif, nous gagnons donc 30 minutes de sommeil par rapport à la veille. Comme hier, le dévoué Pasang a préparé une boisson chaude pendant que nous finalisions les préparatifs. De mon côté, en voulant fermer la porte de la chambre discrètement, je me coince un doigt dedans. Mon doigt se met à saigner légèrement et j'ai ainsi le droit à une séquence 1ers soins à la lampe frontale et dans le froid. Bon démarrage ! Je crois que le guide et le sirdar m'ont adoré dans mon rôle de boulet.
Heureusement, tout se passe bien ensuite. Le départ a lieu à 5h. La montée est facile et régulière jusqu'au village de Chukung (4 730m). Nous assistons au lever du jour sous un ciel sans nuage ... comme d'habitude. Les montagnes alentours s'illuminent avec l'arrivée du soleil, et les glaciers des sommets environnants resplendissent.
Il nous faut 1h45 pour couvrir les 300m de dénivelé. Rien ne sert de courir, le gros morceau étant prévu pour après.
A l'arrivée à Chukung, nous nous dirigeons vers un lodge pour y prendre le petit déjeuner à l'abri du froid. Dernier moment de repos, derniers préparatifs. Il est 7h40. Le départ officiel est donné.
Nous suivons Dorje sur la première partie de la montée qui est mal signalée. Nous faisons aussi des pauses régulières. Une membre du groupe, qui a du mal à trouver sa respiration ce matin, est à la peine. L'altitude n'est pas en cause d'après elle. C''est juste comme ça et il faut composer avec. Cela arrive même aux plus grands sportifs. Elle souhaite donc gérer sa montée toute seule et est certaine de parvenir en haut. A sa demande et parce qu'il a confiance en elle (et en notre acclimatation), Dorje la laisse progresser à son rythme et nous entraine à sa suite. Nous poursuivons donc à trois jusqu'à atteindre une sorte de plateau.
Les montagnes de l'autre côté de la vallée sont superbes : un véritable rempart de glace se dresse brusquement, dominé par l'Ama Dablam. Le silhouette de ce sommet est inédite vue d'ici. C'est à peine si on le reconnait. A ses pieds s'étale une gigantesque moraine qui nous sépare de ces reliefs. Paysage de désolation...
Dans la deuxième partie de la montée, nous traversons un grand plateau.
Dorje nous indique alors le sommet et nous autorise à partir devant. Mon collègue de trek part en tête. Je le suis à mon rythme, suivi par Dorje qui garde un oeil sur toute la troupe. Le paysage, qui prend de plus en plus de relief, est splendide.
Je parviens à un col aux alentours de 10h. Des dizaines de cairns le précèdent, avant que je ne vienne buter contre un muret de pierres. C'est le terme de notre ascension puisque, plus loin, le sommet est enneigé et le paysage environnant saupoudré de neige.
Nous sommes à 5 380m. Le Chukung Ri est visible en arrière-plan, masqué de temps en temps par d'épais nuages. Idem pour le Nuptse (7 864m) que nous voyons sous un nouvel angle comparé à hier. De l'autre côté, un lac glaciaire s'étend tout au fond de la vallée. On embrasse aussi du regard une partie de la montée et le plateau intermédiaire.
Nous arrivons les uns après les autres et nous retrouvons tous là-haut à profiter du panorama, du silence, à nous prendre en photos, à construire un cairn, notre cairn. C'est l'occasion de récupérer.
Vers 11h, nous amorçons la descente qui va durer 45 minutes. Nous regagnons le lodge de ce matin directement, et y retrouvons nos camarades qui sont montés pour le déjeuner. Les retrouvailles sont joyeuses et chacun a des histoires à raconter.
Lorsque nous redescendons sur Dingboche à 13h15, il neige à gros flocons. Comme souvent d'ailleurs lors de notre séjour. La descente est quelque peu pénible, les flocons nous rentrant dans les yeux si nous gardons la tête haute. Encore un appel à la modestie ;) J'apprécie malgré tout cette marche car qui sait si nous aurons encore de la neige himalayienne dans les prochains jours ?