Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le tour du monde en 80 clics
3 janvier 2015

Au coeur de l'enfer Khmers rouges

Localisation du Cambodge

17 avril 1975 : les Khmers rouges entrent triomphalement dans Phnom Penh, la capitale du Cambodge, et décrètent peu après l'"année zéro". C'est le point de départ d'une période particulièrement sinistre et abominable qui va durer pendant 3 années, 8 mois et 20 jours. Une de ces périodes de l'Histoire où l'homme a repoussé encore plus loin les limites de l'horreur.

Photos d'époque de l'entrée des Khmers Rouges à Phnom Penh le 17 avril 1975    Photo d'époque de l'entrée des Khmers Rouges à Phnom Penh le 17 avril 1975

Mais revenons en arrière pour mieux comprendre le contexte et l'enchaînement inéluctable des évènements dans cette contrée d'Asie du Sud-Est.

Tout commence plus ou moins le 9 novembre 1953 lorsque le jeune roi Norodom Sihanouk proclame l'indépendance de son pays. Celle-ci est rapidement reconnue par la Conférence de Genève et vient clore l'épisode français en Indochine. S'en suit pour le Cambodge une période de tranquilité, de développement et de prospérité qui va durer une quinzaine d'années. Le pays fait à cette occasion son entrée sur la scène politique mondiale tandis que le monde entier afflue pour visiter les temples d'Angkor.

Vue classique sur le temple central d'Angkor Vat depuis la rive du bassin Nord

Malheureusement, l'horizon s'assombrit imperceptiblement chaque jour : la guerre du Vietnam, dans laquelle les États-Unis sont parties prenantes, sévit aux portes du pays et elle va progressivement redistribuer les cartes ... Le roi Sihanouk se sent en effet de plus en plus menacé par le Sud-Vietnam et la Thaïlande, tous deux alliés de l'Oncle Sam, et qui ont depuis des siècles des visées territoriales expansionnistes sur le Cambodge. Les deux entités pourraient très bien être tentées de profiter du conflit en cours pour grignoter des portions de territoire cambodgien en toute impunité. Aussi le monarque et le pays s'isolent-ils peu à peu de ces différents protagonistes ... avant de se rapprocher du Nord-Vietnam et de la Chine. Le roi consent même à ce que le Vietcong (c'est-à-dire les communistes nord-vietnamiens et leurs alliés) utilise le territoire national dans le cadre de sa lutte contre le Sud-Vietnam. Ces décisions, justifiées par les relations tumultueuses entretenues depuis des siècles avec les pays voisins, sont immédiatement perçues comme très maladroites, voire hostiles.

La situation politique intérieure se détériore elle-aussi rapidement, sur fond de corruption d'une partie des élites et de tensions politiques dégénérant en une rébellion/répression des sympathisants de gauche. C'est dans ce contexte que le roi Sihanouk est déposé le 18 mars 1970 alors qu'il est en voyage en France. Il s'exile à Pékin et s'allie aux communistes de son pays dont il surnomme le mouvement "Khmer rouge".

Pendant ce temps, le général Lon Nol prend le pouvoir au Cambodge avec l'accord tacite des États-Unis. Il lance dès l'année suivante l'opération Chenla visant à expulser du territoire les communistes vietnamiens et leurs alliés. Il est épaulé en cela par les forces américaines et sud-vietnamiennes qui bombardent massivement dès 1969 - et pendant 4 longues années - les régions de l'Est du pays supposées abriter les bases du Vietcong.

 

Le roi Sihanouk est rejoint à Pékin par ses soutiens qui se rallient de fait au mouvement révolutionnaire des Khmers rouges. Celui-ci se trouve également alimenté par un nombre croissant de paysans dont la famille a été décimée par les bombardements US. Les forces nord-vietnamiennes et leurs alliés khmers rouges prennent ainsi le contrôle de près de la moitié du pays en quelques mois seulement. En juillet 1970, ils s'emparent par exemple des temples d'Angkor. Les Khmers rouges nient bien entendu leur alliance avec les Vietnamiens, l'ennemi séculaire.

Tous ces évènements ont progressivement plongé le pays dans une guerre civile responsable de centaines de milliers de victimes civiles et d'au moins autant de réfugiés. Beaucoup de Cambodgiens ont quitté leur campagne pour se réfugier en ville ou à Phnom Penh.

C'est aussi à cette époque que les Khmers rouges ont commencé à se radicaliser et à faire le ménage dans leurs rangs. Leurs dirigeants (avec Pol Pot, Nuon Chea et Ieng Sary à leur tête), aveuglés par leur idéologie extrémiste et farouchement anti-vietnamiens, amorcent une série de purges. Leurs premières victimes sont les communistes cambodgiens qui vivaient au Vietnam depuis les accords de Genève de 1954, qui avaient été entrainés par les Vietnamiens avant de rejoindre les forces khmères rouges par la piste Hô Chi Minh. Les partisans du roi Sihanouk qui s'étaient ralliés au mouvement par soutien au monarque plus que par idéologie, sont eux-aussi éliminés car jugés trop modérés. De telles purges vont se poursuivre et s'amplifier pendant toute la durée du régime, n'épargnant personne dans aucune région. Même les factions historiques de la zone Est en font les frais. Plus personne n'est à l'abri.

Portrait de Pol Pot    Photos des principaux dignitaires Khmers Rouges

Dès la prise de Phnom Penh, le 17 avril 1975, et dans les jours qui suivent, les dirigeants khmers rouges instaurent l'Angkar. C'est le nom officiel de l'organisation sous laquelle eux, les membres du parti communiste du Kampuchéa, vont gouverner. Ils mettent aussitôt en oeuvre la révolution socialiste parfaite et absolue qu'ils ont planifiée. Leur objectif est clair : transformer le pays en une gigantesque coopérative agricole dominée par les paysans.

Parce qu'ils ont fui devant la progression des Khmers rouges et se sont réfugiés en ville, parce qu'ils sont perméables aux influences étrangères, les citadins sont considérés comme des ennemis qui doivent être rééduqués. Dans chaque ville du pays, les citadins sont donc forcés de partir vers les campagnes. Tous sans exception : les jeunes enfants comme les personnes âgées, les biens portants comme les invalides ou les personnes hospitalisées. Ceux qui s'opposent ou refusent sont frappés ou indimidés, puis abattus. Aucune explication ne leur est fournie et ils n'ont évidemment pas le temps de faire leurs bagages. On leur annonce parfois que ces mouvements servent à se protéger contre de prochains bombardements de représailles et qu'ils seront de retour dans leur foyer dans quelques jours. Quelques jours qui vont durer plusieurs années pour les plus "chanceux"...

Carte illustrant la 1ère évacuation obligatoire des villes le 17 avril 1975    Les déplacements forcés de la population urbaine

Phnom Penh est ainsi vidée de ses deux millions d'habitants en un temps éclair. Les autres villes connaissent le même phénomène. Tous les citadins sont déplacés à pied loin de chez eux et sont étroitement surveillés par les cadres du mouvement.

 

A l'échelon du pays, les frontières et les services publics sont fermés, la religion, la monnaie et les titres de propriété sont abolis, toutes les terres sont collectivisées. Des coopératives sont mises en place. Elles régissent et organisent l'exploitation de la main d'oeuvre durant les 12h à 15h de travail quotidien. Des objectifs de production très précis sont édictés. Le peuple est regroupé dans des villages communautaires où plusieurs dizaines d'individus dorment sous le même toit.

Photo illustrant le travail forcé dans les champs sous le régime Khmers Rouges    Photo illustrant le travail forcé dans les champs sous le régime Khmers Rouges

Photo illustrant le travail forcé dans les champs sous le régime Khmers Rouges    Un temple détruit pendant le régime Khmers Rouges

Photo illustrant une habitation communautaire sous le régime Khmers Rouges    Dessin illustrant un repas communautaire sous le régime Khmers Rouges

L'Angkar régit tout, surveille tout et possède tout. Il n'y a plus de place pour l'initiative individuelle, la vie privée et la famille. L'Angkar s'y substitue. Les dénonciations d'attitudes antirévolutionnaires sont encouragées. Les enfants eux-mêmes sont incités à dénoncer les écarts de leurs parents. Les exécutions sont extrêmement fréquentes et sans fondement. Porter des lunettes (symbole des intellectuels, ennemis du régime), casser un outil agricole ou détruire une graine sont considérés comme des crimes et punis de mort.

La société est si brusquement restructurée que les campagnes sont déstabilisées ce qui provoque de graves famines. Le peuple souffre aussi d'emblée de la faim à cause de rations alimentaires insuffisantes (une soupe de riz deux fois par jour). La dureté du travail pour des personnes non habituées aux travaux des champs, le rythme très soutenu favorisent l'affaiblissement et l'épuisement des organismes. Les victimes sont nombreuses chaque jour.

Matériel abandonné pendant le régime Khmers Rouges    Charniers laissés par les Khmers Rouges

Les Khmers jouent néanmoins avec le feu. Au-delà de la désillusion et de la désadhésion d'une partie de leurs soutiens, ils provoquent délibérément le Vietnam réunifié en faisant des incursions meurtrières dans le delta du Mékong qu'ils convoitent. Leur voisin réagit le jour de Noël 1978 en envahissant le Cambodge. La progression vietnamienne est rapide si bien que le régime est renversé en deux semaines. Les Khmers rouges s'enfuient vers la frontière thaïlandaise d'où ils continueront à menacer le pays pendant de trop nombreuses années.

Photo de la Libération du 7 janvier 1979

Publicité
Publicité
Commentaires
Visiteurs
Depuis la création 32 124
Publicité
Archives
Publicité